lundi 26 août 2019

Génération désenchantée

Un été à Cold Spring
Richard Yates
Pavillons Robert Laffont 2011.

Après l'échec cuisant d'un premier mariage, Evan Shepard voit en la jeune Rachel Drake, joyau fragile d'une famille névrosée, la chance d'un nouveau départ. Mais au cours de cet été 1942 à Cold Spring, la vie, la guerre et le poids des liens familiaux l'aideront à mesurer l'ampleur des désillusions à venir...

Ayant lu ce roman au début de l'été, il va être difficile pour moi d'en parler dans les détails.
Un été à Cold Spring est mon premier roman de Richard Yates et ce fut une belle découverte. Ce roman de la désillusion est tout en sobriété et retenue. Il ne se passe presque rien dans ce roman tout en se passant presque tout. Ce livre parle de la vie. La vie dans tout ce qu'elle a de plus complexe et rude. 
Nous suivons le jeune Evan Shepard dans sa quête de bonheur (est-ce vraiment cela qu'il cherche? Je n'en suis pas sûre). Après un premier mariage trop précoce voué à l'échec, Evan rencontre la fragile Rachel. Cette dernière vit dans un clan composé de son frère et sa mère. Celle-ci s'impose, s'infiltre, se faufile partout. Richard Yates fait craquer le vernis. Les apparences se fissurent et les vrais tempérament se dévoilent.
Sous une apparence de grande simplicité, presque de passivité parfois, Un été à Cold Spring traite des doutes et des regrets de la vie. Au fil des pages, j'ai attendu un événement ... qui n'est jamais arrivé. Si le style peu bavard et lent peut en rebuter certains, j'ai quant à moi aimé les silences et les non-dits. Avec précision et délicatesse, Yates nous plonge au cœur d'une famille fragile et morcelée dans l'Amérique des années 40. 
Un roman à lire et un auteur à découvrir. Je relirai Richard Yates avec plaisir et intérêt. Une très belle découverte
" Evan prit l’habitude de rouler sans but, le soir, et de ruminer dans le noir, le visage grave. C’était vraiment bien de vivre avec une jolie fille folle de vous, aucun doute là-dessus. Mais cela donnait aussi à réfléchir. Etait-ce là tout ce qu’on pouvait attendre de la vie ? Il frappait le volant, encore et encore, n’arrivant pas à croire que son chemin était si bien tracé et qu’il n’y aurait pas moyen de le faire dévier alors qu’il n’avait pas encore dix-neuf ans. "Un été à Cold Spring, Richard Yates.

(Photos : Romanza2019)

samedi 17 août 2019

" Qu'était-il dans ce monde d'ambitions? "

Illusions perdues
Honoré de Balzac

Folio, 2013.

Illusions perdues raconte le destin de deux amis, l'imprimeur David Séchard et le poète Lucien de Rubempré. L'un restera à Angoulême, l'autre partira pour Paris à la recherche de la gloire. Comédie des mœurs provinciales et parisiennes, fresque sur les milieux de la librairie, du théâtre et du journalisme à Paris aux alentours de 1820, ce roman est plus qu'un roman. Il est tous les romans possibles. En lui coexistent l'épopée des ambitions déçues, le poème lyrique des espérances trompées, l'encyclopédie de tous les savoirs. Avec Illusions perdues, Balzac nous donne le premier roman total, réflexion métaphysique sur le sens d'une société et d'une époque placées, entre cynisme et mélancolie, sous le signe de la perte et de la désillusion.

Je pense que je devrais principalement accuser mon manque de disponibilité comme seul responsable de cette lecture en demie-teinte. Cependant, je pense sincèrement que ce n’est pas le seul.
Je suis une habituée de Balzac. Je l’ai lu 17 fois, je l’aime passionnément et les pavés ne me font pas peur. Au contraire, j’en suis friande. Pourtant, même si j’ai aimé Illusions perdues (que je guettais depuis tant d’années), je ne peux pas vous dire que j’ai adoré … et mon esprit occupé de ces derniers mois n’est pas seul en cause.
Illusions perdues nous offre des pages sublimes typiquement balzaciennes. Croiser les différents personnages de La comédie humaine est littéralement un régal et ne donne qu’une envie, se précipiter sur les autres titres. J’ai aimé, comme toujours, la plume d’Honoré toujours juste et sublime. L’histoire m’a également touchée et je compte bien retrouver les personnages du roman dans la suite, Splendeurs et misères des courtisanes. Mais voilà … je le confesse j’ai trouvé l’ensemble très long et trop bavard. Oui, vous pouvez me flageller en place de Grève, que voulez-vous c’est ainsi ! J’en suis bien meurtrie. Je soutiens que mon manque de disponibilité a fait que j’ai eu une lecture hachée de ce texte. Ce qui n’a forcément pas aidé à rentrer complètement dans le roman. Mais il faut dire aussi que le monde dépeint par Balzac est complexe. Certaines pages sur le monde de l’édition et du journalisme m’ont perdue. La dernière partie fut vraiment difficile à lire. Quel dommage lorsque l'on voit avec quel plaisir j’ai lu la première partie du roman! Même si je ne me suis pas attachée à Lucien, bien trop inconstant pour moi, j’ai aimé le suivre dans Paris, ses mésaventures, ses amitiés et ses amours. J'ai été en colère comme lui, j'ai aimé et j'ai souffert. Mais la dernière et bien trop longue partie fut franchement difficile. Peut-être n'ai-je pas été à la hauteur de Balzac cette fois? Je le reconnais sans honte (enfin ... peut-être un peu!). 
Illusions perdues ne sera pas un de mes Balzac préféré. Je ne renierai jamais cet auteur que j'aime profondément. Honoré m'a une nouvelle fois prouvé son immense talent, mais ce roman est bien trop long. Quoi qu'il en soit je retrouverai Balzac avec plaisir ... comme toujours.
Vous croyez aux amis. Nous sommes tous amis ou ennemis selon les circonstances. Nous nous frappons les premiers avec l’arme qui devrait ne nous servir qu’à frapper les autres. Vous vous apercevrez avant peu que vous n’obtiendrez rien par les beaux sentiments. Si vous êtes bon, faites-vous méchant. Soyez hargneux par calcul. Si personne ne vous a dit cette loi suprême, je vous la confie et je ne vous aurai pas fait une médiocre confidence. Pour être aimé, ne quittez jamais votre maîtresse sans l’avoir fait pleurer un peu ; pour faire fortune en littérature, blessez toujours tout le monde, même vos amis, faites pleurer les amours-propres : tout le monde vous caressera. 
Illusions perdues, Balzac.

(Photos : Romanza2019)

vendredi 9 août 2019

" Ce qui était grand, puissant, original en lui, elle ne le voyait pas ou - pire - elle ne le comprenait pas ".

Martin Eden
Jack London

Phébus, Libretto, 2010.

Ce magnifique roman paru en 1909, le plus riche et le plus personnel de l’auteur, raconte la découverte d’une vocation, entre exaltation et mélancolie. Car la réussite de l’œuvre met en péril l’identité de l’écrivain. Comment survivre à la gloire, et l’unir à l’amour, sans se perdre soi-même? Telle est la quête de Martin Eden, le marin qui désire éperdument la littérature.

Voici un roman que je rêvais de lire depuis plusieurs mois déjà. Je suis ravie de m'être plongée dans ce texte durant l'été, période de l'année où je peux lire davantage. Même si ce ne fut pas le coup de cœur flamboyant que j'attendais, j'ai adoré ce roman et je compte bien relire Jack London afin de retrouver sa plume si bouleversante et vivante
Martin Eden est un personnage magnifique qui, je pense, restera gravé dans mon cœur pendant des années. Cet homme simple, ce marin dynamique et plein de fougue change de vie du jour au lendemain pour être à la hauteur de la douce Ruth. Il décide de se cultiver et passe son temps à lire et étudier. Il y trouve la joie de l'apprentissage et de la connaissance, mais progressivement il découvre également l'hypocrisie de la société, sa violence, son injustice. La vie de Martin Eden est bouleversante. Comment ne pas être touché par cet homme? J'ai été tellement écœurée par les dernières pages que j'en frissonne encore. Je ne peux en parler librement sans divulgâcher l'histoire, je me tairai donc. Voir cet homme se heurter à tout ce qu'il y a de plus bas chez l'être humain est difficilement supportable. Certes, la violence est moins sanglante que les anciennes bagarres de Martin. Il n'y a pas de coups, de bras cassés ou d'insultes. Pourtant, le parallèle que London crée entre les deux est saisissant. La violence froide, la perfidie, la supériorité de certains êtres ne sont-elles pas bien plus dures que des heurts de marins? Je n'ai pu m'empêcher de penser au Jude de Thomas Hardy ou au Stoner de John Williams. Les trois héros ont des similitudes frappantes. 
Plus que l'histoire qui marque les esprits pour longtemps, c'est la langue de Jack London qui fut une vraie découverte. Martin Eden est un texte de toute beauté. Affûtée au couteau, chaque phrase est juste et puissante. Les mots disent tout. Ils disent la violence, l'absurdité, l'amour, la déception, la reconnaissance, la paix. Martin Eden fait partie de ces textes qu'il faut relire plusieurs fois dans sa vie. On y trouvera une vérité à chaque moment de son existence. 
Je suis heureuse d'avoir enfin découvert ce texte si célèbre. Célébrité qu'il mérite amplement. Je pense que je ne resterai pas si longtemps sans relire du Jack London. Je ne suis pas prête d'oublier Martin et son obsession de l'écriture. 
" Avant, je ne savais pas que la beauté avait un sens. Je l’acceptais comme telle, comme une réalité sans rime ni raison. J’étais dans l’ignorance. A présent, je sais, ou plus exactement, je commence à savoir. Cette herbe me paraît beaucoup plus belle maintenant que je sais pourquoi elle est herbe, par quelle alchimie du soleil, de la pluie et de la terre elle est devenue ce qu’elle est. "
Martin Eden, Jack London. 
(Photos : Romanza2019)