mardi 25 août 2015

Plus loin, derrière la dune

Un thé au Sahara
Paul Bowles

Petit bac 2015

L'imaginaire Gallimard, 1952.

Un couple d'Américains, Port et Kit Moresly, en compagnie de leur ami Tunner, parcourent l'Afrique du nord, de la côte au Sahara. Les Moresly, bien que mariés depuis onze ans, est loin de s'entendre. Au cours du voyage, Kit a une brève aventure avec Tuner ; mais cette femme tourmentée n'en retire qu'un complexe de culpabilité supplémentaire.
(J'ai coupé la quatrième de couverture. Bien que j'aime beaucoup L'imaginaire Gallimard, cette collection a une fâcheuse tendance à en dire trop et à dévoiler toute l'histoire des romans)

Au diable la saison d'été qui ne me laisse que peu de temps pour lire! J'ai lu 10 pages par jour d'Un thé au Sahara pendant 3 semaines. J'avais choisi ce titre me disant que la chaleur estivale collait bien à l'ambiance saharienne. Malheureusement, c'était sans compter la complexité du roman.  J'ai réussi à me plonger dedans qu'aux 100 dernières pages ... quand enfin j'ai eu le temps de lire davantage. J'ai mis beaucoup de temps à prendre plaisir à le lire, mais je pense vraiment que c'est de ma faute. Je n'aurai pas du le choisir durant cette période de travail intense. 
Kit et Port, ainsi que tous les autres personnages de ce roman, ne sont pas attachants. On ne les comprend pas. Je n'ai pas compris leurs choix, leurs pensées, leurs désirs. Le monde de Paul Bowles est très pessimiste. Je serai incapable de décrire la relation de Kit et Port. Est-ce de l'amour, de la haine, de la tendresse, de la routine?? Ils ne se parlent pas et Bowles n'explique pas tout. Le roman est parfois aussi flou que l'esprit des personnages. Quant à sa vision du désert, elle n'a rien d'un orientaliste romantique et Bowles montre une terre dure, sèche et sans pitié. Les 200 premières pages d'Un thé au Sahara m'ont complètement déstabilisée. Les errances de Port, les réactions de Kit, l'attitude de Tunner et ce couple étrange des Lyle, ... je ne comprenais pas où me menait Bowles. Puis, mon attention est revenue. A partir de la maladie de Port, j'ai eu du mal à lâcher le roman. Bowles a une écriture très puissante. Il crée une ambiance étouffante et malsaine en quelques mots. Même si Kit m'était toujours aussi mystérieuse et incompréhensive, j'ai été touchée par cette femme perdue, cherchant à tout prix à échapper à la peine et à la douleur. Après avoir souffert pendant plusieurs pages d'incompréhension et parfois d'ennui, je me suis retrouvée passionnée et haletante. Au début du roman, j'étais persuadée que je finirai ce texte avec soulagement et rédigerai un avis entièrement négatif. Mais au final, j'ai conscience d'avoir lu un roman profond, complexe et malgré tout, prenant. 
Je suis vraiment déçue de ne pas avoir eu plus de temps libre pour rentrer dès le début dans ce roman. Il mérite qu'on s'y arrête. Un thé au Sahara n'est pas un roman de plage, il demande de la réflexion et de la patience. 
Un roman assez perturbant à découvrir.

Cette édition est accompagnée de l'adaptation de Bertolucci de 1990 que je visionnerai dans quelques jours. 

"Kit tira sur sa robe et dit : "Quand j'étais jeune..."
- Jeune?
- Avant d'avoir vingt ans, je veux dire, je croyais que le mouvement de l'existence ne cessait de s'accélérer, qu'elle devenait chaque année plus riche et plus profonde, qu'on apprenait davantage, qu'on gagnait en sagesse, en compréhension, qu'on allait plus loin dans la vérité...
Elle hésita. Port eut un rire brusque.
- Et maintenant tu sais que ce n'est pas comme ça? Oui? Ça ressemble plutôt à une cigarette, Les premières bouffées sont merveilleuses, et on imagine pas qu'on en verra le bout. Puis ça devient naturel. Et tout à coup on s’aperçoit qu'on la presque finie. Et c'est alors qu'on sent le gout amer.
- Mais je suis toujours consciente de son amertume et je sais toujours qu'il n'y en a pas pour longtemps, dit-elle.
- Alors tu devrais cesser de fumer.
- Que tu es mesquin! s'écria-t-elle."
(Un thé au Sahara, Paul Bowles, 1952, Imaginaire Gallimard)




dimanche 2 août 2015

L'éclat d'un grain de riz

Le riz et la mousson
Kamala Markandaya

Challenge Myself 2015 - Été

J'ai lu, 1977.

Dans Le riz et la mousson, une paysanne indienne nous raconte son histoire : c’est en vérité un récit des plus simples dans lequel toutes les femmes se reconnaîtront. La vie de Rukmani est remplie par l’amour qu’elle porte à son mari, à ses enfants, à sa terre. Seulement cette terre est une des plus cruelles du monde, hantée par le spectre de la famine, dominée par deux réalités essentielles : le riz et la mousson.

Il y a une quinzaine d'années, je découvrais, en vacances dans les Gorges de l'Hérault, une plume d'une humanité incroyable, d'un profond amour des instants simples. J'étais adolescente et je lisais La mère de Pearl Buck. Une vieille édition tombant en lambeaux, une chaleur accablante, une petite cousine bruyante, mais une véritable lecture-immersion et un souvenir littéraire incroyable. La semaine dernière, je suis partie en vacances avec ma petite  bande. J'avais proposé à mon mari d'aller au même endroit où adolescente j'avais passé de si belles vacances. Nous voilà donc partis pour les fabuleuses Gorges de l'Hérault. Comme quinze ans auparavant, j'ai glissé dans mes bagages un roman d'une dame inconnue.  Le riz et la mousson de Kamala Markandaya. La couverture, l'histoire, ... tout me rappelait les romans de Pearl Buck. 
Kamala Markandaya et Pearl Buck ont certaines choses en commun. J'ai retrouvé le même amour de la vie et de l'être humain. Comme avec Pearl Buck, j'ai découvert en Markandaya une auteure a l'écriture délicate, unique et passionnante. L'Hérault m'aura révélé une nouvelle plume coup de cœur. Le riz et la mousson est un texte sublime.
La simplicité me touche beaucoup dans un roman. Il est plus difficile de captiver et de faire voyager le lecteur avec la description du quotidien qu'avec une grande et chevaleresque épopée. Le riz et la mousson raconte l'histoire de Rukmani. Mariée à douze ans, cette femme nous tient la main et nous amène dans son univers. Il y a le vert des rizières, leurs éclats et l'espoir qu'elles représentent. Il y a le blanc du riz et les doigts qui s'enfoncent dans les sacs de grain. La pluie lourde et violente. Le crépitement du feu et l'odeur des lentilles. Le riz et la mousson n'est fait que d'instants précieux. Mais Kamala Markandaya ne décrit pas pour autant le paradis terrestre. La vie de Rukmani est dure et elle traverse des moments d'horreur, de peine, de misère. J'ai été totalement happée par ces lourds moments. Je cherchais comment nourrir ma famille, j'errais dans les rues pour trouver un emploi et quelques pièces. J'ai eu la gorge serrée en voyant que mon stock de nourriture diminué, mais j'ai souri de délice en m'achetant un petit gâteau de riz. Ce roman fait du bien. Il fait relativiser sans culpabiliser. Les instants simples deviennent uniques et précieux. Il nous rappelle que la beauté et la joie ne sont pas dans l'abondance, mais dans un rayon de soleil et dans un repas chaud. Markandaya décrit sublimement bien le cœur humain. La colère, la joie, l'espoir. Ce roman sans prétention est la quintessence de la vie. 
Le riz et la mousson sera peut-être pour certains une agréable lecture. En ce qui me concerne, elle m'a captivée et envoûtée. J'ai vu et ressenti. 
Une triste couverture d'occasion et un nom oublié qui cachent un trésor.

" Au bout d'un moment entrèrent deux prêtres à la tête à moitié rasée. L'un d'eux portait une coupe d'eau, l'autre un plateau garni d'offrandes plus symboliques, qu'ils placèrent aux pieds de la déesse. Des cloches commencèrent à tinter ; à ce signal les prêtres entonnèrent des prières, chacun à son tour reprenant où l'autre s'était interrompu. Tout le monde était debout, beaucoup de gens avaient les mains croisées et les yeux fermés. Je fermai également les yeux, et les couvris de mes mains. Le globe de l’œil était chaud sous la paupière. Dans l'obscurité je voyais une tache lumineuse orange bordée de noir sur laquelle se détachaient les images du passé - mes fils, Ira, la hutte où nous vivions, et les champs que nous cultivons. Je revis la vieille Grand-Mère, édentée et ridée ; Kenny et le regard triste qu'il avait eu quand je lui avais annoncé notre départ ; le visage de Sacrabani, tout blanc et exprimant, comme il le faisait souvent, la peur. "
(Le riz et la mousson, K. Markandaya, J'ai lu, 1977, p 189)


(Photo : linternaute.com - Christophe Liacopoulos)