vendredi 16 janvier 2009

Bonbon littéraire

L'abbaye de Northanger
Jane Austen
Imaginaire Gallimard, 2004.

Alors que vers la fin du XVIIe siècle le roman noir semait ses naïves terreurs dans les foyers anglais, Jane Austen, née en 1775 et qui écrit depuis l'âge de douze ans, ne s'intéresse ni à l'histoire ni à la politique ni aux fantômes. Elle n'a de goût que pour la vie - la vie telle qu'un œil acéré peut en surprendre les manèges dans un salon, voire une salle de bal où les jeunes gens dansent, tandis que leurs parents évaluent rentes et dots. Comme on le voit dans ce roman - le troisième, écrit entre sa vingtième et sa vingt-troisième année, après Le Coeur et la Raison et Orgueil et préjugé - où une jeune provinciale de bonne famille est envoyée à Bath prendre les eaux, pour faire son apprentissage du monde et des intermittences du cœur. Dans ce chef-d'œuvre, qu'elle a remanié en 1815, Jane Austen, sans doute l'un des esprits les plus implacablement satiriques de toute la littérature, traite sa protagoniste non comme une créature de chair et d'os, à l'instar de tous les romanciers, mais bel et bien comme une héroïne de roman égarée au milieu de conjonctures qui, par rapport aux habitudes du genre, la rabaissent aux yeux du lecteur. Et c'est avec une allégresse féroce que Jane Austen nous la montre se comportant, à la moindre occasion, en référence à son livre de chevet, Les Mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe, publiés en 1794, juste avant qu'elle ne commence elle-même L'Abbaye de Northanger. Ainsi parodiait-elle le roman gothique et ses candides lecteurs, promis aux mêmes déboires que Don Quichotte intoxiqué par les ouvrages à la gloire de la chevalerie. Et ainsi, du même coup, annonçait-elle et énonçait-elle l'idée qui serait plus tard au cour de la modernité, et selon laquelle la vie finit toujours par imiter l'art.
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Je suis tout à fait d'accord avec Miss Fashion au sujet des romans de Jane Austen. Elle les appelle, à juste titre, des "romans-doudous" et je me permets de citer l'auteur de cette si remarquable expression car L'abbaye de Northanger rentre parfaitement dans cette catégorie.
Bien que moins impressionnant qu'Orgueil et préjugés ou encore Raison et sentiments, je dois avouer avoir un petit coup de coeur pour celui-là. Son côté "doudou" justement m'a beaucoup séduite, mais aussi sa simplicité, sa douceur (Catherine Morland a tout de même moins de soucis que Marianne Dashwood ou Elisabeth Bennett), ... Tout comme Agnes Grey face à Jane Eyre et Les hauts de Hurle-vent, je sais que L'abbaye de Northanger a nettement moins de qualités qu'Orgueil et préjugés et pourtant, j'ai pris un plaisir subtil et véritable en le lisant. Et puis, la toujours et unique plume si vive et piquante de dame Austen m'a de nouveau ravie.
Piquante, oui et pourtant, délicate. Jane Austen ne brusque pas le lecteur. Tout coule. Je lisais sans me rendre compte des pages qui défilaient, ni du temps qui s'écoulait. C'est doux, c'est frais, léger, drôle (Ah! Les scènes paranoïaques de Catherine dans l'abbaye, ses scènes de lectures et Mr Tilney ... hum!). Bref! ça fait du bien! Certes, j'ai failli plusieurs fois bondir dans le roman pour étrangler Isabella et son imbécile de frère, mais hormis ces quelques accès de rébellion, ce roman m'a ressourcée, réconfortée. Etant dans une période très remplie et assez stressante, L'abbaye de Northanger fut ma petite pause de la soirée, mon anti-stress rien qu'à moi.
Un roman qui se déguste comme un bonbon ... Un roman frais, apaisant, un vrai baume au coeur.
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Les avis de Nebelheim, Malice, Lilly, Cuné, Charlie Bobine, ...
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"Cette colline me rappelle toujours le pays que traversent Emily et son père dans Les Mystères d'Udolphe. Mais, sans doute ne lisez-vous jamais de romans?
-Pourquoi n'en lirais-je pas?
- Parce que c'est une lecture trop frivole pour vous. Les hommes lisent des livres sérieux.
-Les gens, quel que soit leur sexe, qui ne prennent pas plaisir à la lecture d'un bon roman ne peuvent qu'être d'une stupidité insupportable. J'ai lu tous les livres de Mme Radcliffe, et la plupart avec un grand plaisir. Quand j'ai commencé Les mystères d'Udolphe, je n'ai pas pu m'arrêter. Je me souviens de l'avoir lu en deux jours sans discontinuer, les cheveux dressés sur la tête."
(L'abbaye de Northanger, Gallimard, 2004, p130)


(Source image : mollands.net. Illustration de Northanger Abbey)

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec toi, sauf pour UNE chose... En quoi Northanger Abbey serait plus faible qu'Orgueil et Préjugés ? Question posée sans acrimonie, mais avec beaucoup de curiosité ;-)

Anonyme a dit…

D'ailleurs, pour rebondir sur ce que dit miss Bookomaton, moi qui ai un peu l'esprit de contradiction, j'ai plus envie de lire celui-ci qu'Orgueil et préjugés !

Caro[line] a dit…

Je l'ai en VO dans ma PAL. Je n'ai jamais lu Austen en VO, mais comme il n'est pas trop long, je me dis que ça vaut le coup de le tenter. Et ton billet me donne très envie de m'y mettre ! Mais pour le moment, je suis dans une phase "Proust" figure-toi. :-)

Romanza a dit…

Bookomaton : Hey! Bonjour!
En fait, je voulais dire par là qu'"Orgueil et préjugés" contient plus de rebondissements, plus de satires sociales, une histoire d'amour plus romantique, etc ... Du coup, les lecteurs se tournent plus facilement sur ce dernier ...
Et je rebondis en affirmant que ce côté moins connu et moins aimé de Northanger Abbey m'a séduite ... Il a quelque chose qui me plaît bien ...

Kathel : Et bien, c'est très bien ça!

Caro[line] : Ah bon tu es dans une période Proust ... je ne savais pas du tout ... ;)!!

Caro[line] a dit…

Oui, mais c'est encore plus avancé que ce que tu crois... rendez-vous dimanche sur mon blog ! ;-)

Anonyme a dit…

Je suis d'accord sur tout sauf sur le "bonbon" (je n'aime pas les bonbons). C'est plus léger que le reste de l'oeuvre certes, mais pas sucré pour moi. J'adore le passage que tu cites ainsi que la tirade sur l'histoire qui est un grand moment.

Romanza a dit…

Caro[line] : Ouh! lalala Tu me donnes l'eau à la bouche!

Isil : Merci! J'adore les passages où ça parle de livres (étonnant, non?)

Anonyme a dit…

Mais elle a écrit combien de roman cette Miss Austen ? Il a l'air sympathique ce bouquin et j'adore les douceurs en plus.

Anonyme a dit…

Ton article me laisse un peu perplexe : finalement s'agit-il d'un conte cruel ou d'un roman où la douceur prime?

Romanza a dit…

La liseuse : Vas-y régale toi!

Sybilline : En fait, ce qui est étonnant chez dame Austen, c'est qu'elle présente une satire sociale de son époque (parfois même très fortement!), mais que ces romans se lisent bien, se lisent avec douceur, que tout coule et que la lecture de Jane Austen, malgré ses critiques, ses analyses et ses questionnements profonds, est d'une douceur et d'une ressource incroyable ...

Certains lecteurs, qui sont passés à côté de la profonde satire austinienne, ont d'ailleurs trouvé que dans ses romans peu de choses se passaient ...

Anonyme a dit…

Mon tout premier, j'ai vraiment adoré ! Je le relirais bien d'ailleurs, ainsi que d'autres Austen cette année !

Anonyme a dit…

C'est le seul Austen que je n'ai pas lu... je me le garde en réserve!!!

Anonyme a dit…

Moi aussi il n'y a q'un Austen que je n'ai pas lu c' est persuasion.heu...personnellement je n'ai pas été fan de l' abbaye de northanger,catherine me tape sur les nerfs.Si ça se trouve j' ai mal compris l'idée du livre.Vous pourriez m'aiguiller??

Anonyme a dit…

Ca te dérange si je mets des liens vers tes articles sur mon blog ?

raison-et-sentiments.cowblog.fr

Romanza a dit…

Matilda : Bien sûr ma belle!