vendredi 29 janvier 2016

" Je me disais que, tant qu’il y aurait des livres, le bonheur m’était garanti. "

Mémoires d'une jeune fille rangée
Simone de Beauvoir


Livre de poche, 1966.

Les Mémoires d'une jeune fille rangée décrivent les vingt et une premières années de l'auteur : de sa toute petite enfance à sa réussite à l'agrégation de philosophie en 1929.

Toute femme je pense (j'espère!) revendique l'égalité des sexes. Que cette revendication soit intérieure ou active, on ne peut rester froides face au sexisme. 
Le féminisme a été longtemps chez moi assez calme. Élevée avec deux grands frères, je ne me suis jamais sentie inférieure à eux et on m'a tout de suite éduquée dans l'idée que mon sexe n'était pas un frein. Mais il n'y avait pas non plus à la maison de parti-pris, de revendications et d’engagements réels. Puis quelque chose s'est passé en moi il y a bientôt un an et demi, lors de la naissance de ma fille. Ce sentiment, je ne l'ai pas vu venir. En parti parce que je ne connaissais pas le sexe de mon bébé durant ma grossesse. Même lorsque je me projetais avec une petite fille, je n'avais pas imaginé ressentir ça à la naissance. Lorsqu'on me l'a posé sur le ventre et qu'on m'a annoncé que c'était une fille, après l'émotion, les larmes, les premiers regards, je me suis dit que j'avais un rôle important. Celui d'être là pour lui rappeler chaque jour qu'une femme peut tout entreprendre, que son sexe n'est pas un obstacle et lui apprendre à se protéger contre les petites phrases doucement assassines du quotidien. Être une femme fière et savoir vivre avec les hommes et non contre eux. J'ai envie de lui parler des héroïnes courageuses et des femmes engagées. Des remarques que je ne soulevais pas avant me hérissent le poil désormais. Je ne veux plus de "Elle pleure vraiment comme une fille! ", " Elle est très intrépide, c'est un vrai garçon!?" , ... Ce n'est jamais vraiment méchant, ni réellement macho, mais ça sous-entend plein de choses et c'est irrespectueux autant pour la femme que pour l'homme. Car oui, à mon Romanzino je lui dis aussi qu'il a le droit d'avoir peur, de ne pas aimer la bagarre et de pleurer parfois. Il apprend à respecter sa sœur, à ne pas croire aux clichés et à accepter sa grande sensibilité. 
Cette longue introduction égocentrique pour dire que je n'avais jamais lu Simone de Beauvoir jusqu'à maintenant et j'en ressors bouleversée. Comme un écho à ce que je vis depuis que je suis mère d'une petite fille, ce texte m'a fascinée. Pourtant, il ne s'agit que des premières années de Simone de Beauvoir et son engagement est encore timide, mais son intelligence, sa volonté forcent l'admiration. Ce texte autobiographique est passionnant et toute femme devrait le lire. On s'attache à cette jeune Simone nous racontant son enfance, ses doutes, son amour pour les mots et les livres. Une vraie lecture immersion. Ce roman est un monde. On plonge dans le Paris du début du XXème, ses cafés, ses étudiants, ses écrivains. Les pages sur les études universitaires de Simone sont captivantes. J'ai fait partie de sa troupe d'amis, j'ai aimé Zaza, les discussions métaphysiques, les soirées frivoles à écouter du jazz. J'ai aimé lorsqu'elle parle de l'apprentissage, de l'enrichissement intellectuel, des livres (il y a des pages sublimes sur le pouvoir de la littérature), ... Il est très difficile de parler de ce texte puissant et intime. D'un écriture à la fois spontanée et profondément érudite, Simone de Beauvoir mêle émotion et intellect, naturel et enseignement. 
Les Mémoires d'une jeune fille rangée, c'est une citation culte à chaque page, une description parfaite de l'instant présent, l'évocation pure d'un sentiment, ... 
Comme toujours lorsqu'il s'agit d'une oeuvre coup de cœur, je n'arrive pas à en parler convenablement. 
Je découvrirai avec passion et émotion la suite des Mémoires de cette grande dame. 


(Et lorsqu'on voit de nos jours ce genre de choses ... et les commentaires qui en découlent. On se dit qu'on a plus que tout besoin de relire Simone de Beauvoir).

" Le premier de mes bonheurs, c'était, au petit matin, de surprendre le réveil des prairies ; un livre à la main, je quittais la maison endormie, je poussais la barrière ; impossible de m'asseoir sur l'herbe embuée de gelée blanche ; je marchais sur l'avenue, le long du pré planté d'arbres choisis que grand-père appelait "le parc paysagé" ; je lisais, à petits pas, et je sentais contre ma peau la fraîcheur de l'air s'attendrir ; le mince glacis qui voilait la terre fondait doucement ; les hêtres pourpres, les cèdres bleus, les peupliers argentés brillaient d'un éclat aussi neuf qu'au premier matin du paradis : et moi j'étais seule à porter la beauté du monde, et la gloire de Dieu, avec au creux de l'estomac un rêve de chocolat et de pain grillé. "(Mémoires d'une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir, Livre de poche, 1966)


4 commentaires:

Cléanthe a dit…

Pourquoi dis-tu que tout femme devrait lire ce livre? Je pense que chaque homme aussi. C'est en tout cas comme ça que je perçois, comme homme, le pouvoir de la littérature. J'ai appris dans les livres à adopter par exemple un regard féminin, et tout plein d'autres regards encore, qui ne sont pas moi et en même temps qui par la lecture sont devenus un petit peu miens. Je crois aussi, comme tu le rappelles très bien au début de ton billet, que des événements importants de notre vie nous ramènent parfois à des questions, à des engagements auxquels nous n'avions jamais songé encore. Et que le féminisme, ces temps-ci, comme beaucoup d'autres combats pour l'émancipation, redevient hélas d'une brûlante actualité. Quand j'entends ne serait-ce que les plaisanteries de certains collègues de travail autour de moi, qui ne pensent pourtant pas à mal, un certain ton auquel on se croit autorisé entre hommes, je me dis en effet que la partie n'est pas jouée...

Cléanthe a dit…

Les commentaires au lien sont en effet hallucinants!

Romanza a dit…

Je suis bien évidemment d'accord avec toi. Tout homme devrait lire ce texte et le pouvoir de la littérature est aussi celui de se mettre à la place d'un ou d'une autre. Je n'ai pas soulevé cette idée dans mon avis et c'est un tort. Merci pour ce commentaire si juste Cléanthe!

Praline a dit…

C'est un de mes grands émerveillements de jeune fille ce texte. La lire si juste, si précise, m'a complètement séduite.