mercredi 12 septembre 2012

" Quel que soit le nombre de couches d'oubli dont je le recouvre, il parvient à le transpercer "

 Le jardin de Belmaray
Elizabeth Goudge


Livre de poche, 1968.

Un homme bien vêtu mais démuni d'argent arrive sans bagage dans la petite ville de Silverbridge et tombe évanoui d'inanition sur la route du ravissant village de Belmaray, où il est allé se promener. Il est secouru par le pasteur du lieu, John Wentworth, qui se prend de sympathie pour lui et qui, sans lui poser aucune question, sent qu'il a besoin de son aide morale. John est un garçon plein de généreuses intentions, mais prodigieusement distrait et maladroit. Il habite au presbytère avec sa femme, Daphné, son ancienne nurse devenue infirme, et ses enfants aussi insupportables que délicieux.  Tout ne va pas pour le mieux à Belmaray, et le nouveau venu, qui parvient à s'introduire comme jardinier chez la vieille tante de John, au manoir de Belmaray, pourrait bien être un mauvais démon qui va précipiter la catastrophe ... 

J'avais une envie folle de douceur. Je savais qu'en tendant ma main vers un roman d'Elizabeth Goudge, mon désir serait satisfait. Le jardin de Belmaray fut un petit bonbon savoureux. 
Les romans d'Elizabeth Goudge nous entourent de coton. Avec sa belle plume délicate et douillette, elle nous prend dans ses bras plein d'amour et nous chuchote toujours de belles histoires. Elizabeth Goudge est une magicienne. Son écriture, bien à elle, est un hymne aux instants précieux. 
Une des choses fabuleuses dans les romans de cette grande dame (et il s'agit de mon 5ème. Il y a eu La vallée qui chanteLe pays du dauphin vertLa colline aux gentianes et L'arche dans la tempête), c'est qu'elle réussit à écrire plusieurs histoires en une. Chaque personnage a son passé traité avec soin par Elizabeth Goudge. On ne sait pas tout. D'autres histoires existent en dehors de celles que nous livrent l'auteur. Elles ont une place importante sans jamais être dévoilées totalement. Cet aspect là du roman rend les personnages extrêmement proches et humains. 
Elizabeth Goudge croyait en Dieu et ses romans sont imprégnés de spiritualité. Mais dans le bon sens. Je ne suis pas croyante et je ne veux pas que l'on essaie de me convaincre de la puissance d'un dieu. Et Elizabeth Goudge ne le fait pas, ça tombe bien. Elle aime les gens et la nature. Elle aime la vie. C'est en ça que ses romans sont spirituels. Ses personnages ne croient pas tous en Dieu et quand ils y croient, ils ne jugent jamais, ne se sentent pas supérieurs, doutent même de leur foi. On parle de respect, de différence et de tolérance. Si religion il doit y avoir, Elizabeth Goudge nous en montre le plus beau côté. Pas de prêche, pas de moral, pas de jugement. Juste un amour profond pour les êtres, surtout ceux qui souffrent, et une admiration sans limites des beautés de notre Terre : 
"Le matin même, avec sa tante qui allait régulièrement à l'église et tricotait infatigablement pour les pauvres, elle avait eu conscience de quelque chose de mauvais. Mais de cet homme dont elle savait seulement qu'il avait récemment été en prison, elle sentait émaner tant de bien, de bonté, une bonté faisant partie de cette bonne volonté qu'elle ne parvenait pas à faire sienne." (p217)

L'amour de la nature est un magnifique aspect des romans de cette belle plume. Le jardin de Belmaray nous offre de splendides paysages, des ambiances délicieuses et envoûtantes. Les descriptions de ce roman sont agréables et poétiques. Un petit bijou de beauté et de douceurLe chapitre X est l'essence même de ce que j'aime dans la plume d'Elizabeth Goudge. Magnifique! Le jardin de Belmaray est à lire rien que pour ce chapitre X de toute beauté, humain et totalement bouleversant.
L'intrigue du Jardin de Belmaray est très prenante. Les pages se dévorent. On se demande ce qui est arrivé à Michael. On tente de comprendre l'étrange et dur caractère de Daphné. On tremble pour l'avenir du château de Belmaray et de la touchante Miss Wentworth, la tante de John. On embarque dans la monde de Dame Goudge.
Les personnages sont très travaillés et complexes. Elizabeth Goudge aime les petites choses simples de la vie, mais ne tombe pas pour autant dans la simplicité. Michael, Daphné, John, Mrs Giles, ... que des personnages torturés et tentant de lutter contre leurs peurs et leurs démons. Mrs Belling est un personnage terrifiant, cette horrible femme m'a choquée. Les petites filles de Daphné et John m'ont émue et elles m'ont faite souvent rire. Mrs Giles est le personnage qui m'a le plus touchée. Détestée au début, j'ai appris à l'aimer et à la comprendre. Des personnages inoubliables! 
Je ne peux que vous conseiller d'ouvrir ce petit roman plein de douceur, de vie et de poésie.
Tout en étant consciente de la dureté de la vie, de nos démons, de nos faiblesses, Elizabeth Goudge nous montre que la vie vaut le coup d'être vécue ... malgré tout!
Avec La pays du dauphin vert, sans aucun doute le meilleur Elizabeth Goudge. 

" Elle entra dans la salle. Les détestables petites filles étaient sagement assises derrière leurs vilains pupitres tachés d'encre. Comme toujours, elle sentit leur haine monter vers elle, et en retour, elle les détesta tout en sentant se préparer dans sa tête une migraine de plus. Le désespoir la saisit, et les mots cinglants qu'elle ne tarderait pas à décocher traversèrent son esprit comme des aiguilles d'acier. Elle s'approcha de son bureau et s'apprêta à y laisser tomber avec un bruit sourd la pile de cahiers qu'elle tenait. Mais elle ne les lâcha pas, elle s'arrêta, les yeux fixés sur le bouquet de fleurs posé sur sa table : de petits perce-neige auxquels la terre adhérait encore, des primevères humides, des violettes blanches sauvages, des branches de mousse et quelques belles grandes violettes pourpres, le tout attaché par une branche de lierre aux minuscules feuilles rouges. Le bouquet avait été arrangé avec application, avec une grâce qui l'enchanta. Elle posa très doucement la pile de cahiers et souleva le bouquet. Elle avait oublié combien peut être délicieux le parfum des violettes mouillées ... Elle avait sur les mains la fraîcheur de la pluie, la froide douceur du printemps ..."
(Le jardin de Belmaray, E. Goudge, Livre de poche, 1968, p 197)

(Source image : Abbott Fuller Graves - Les fleurs du jardin. pereanselme.over-blog.com)

1 commentaire:

Jacques a dit…

Je suis agréablement surpris de trouver deux très beaux romans: Le Jardin de Belmaray et La Chaîne d'amour, que je croyais oubliés.
C'est bien de ne pas oublier les classiques qui valent souvent bien mieux que les livres contemporains, qui n'ont pas forcément ni souvent leur "profondeur" ni leur "accent".
Je me réjouis aussi de trouver L'Idiot de Dostoïevski et Jane Eyre.