mardi 16 mars 2010

" Ignorer le passé, c'est aussi raccourcir l'avenir. "

Lignes de faille
Nancy Huston

Babel, 2007.

Entre un jeune Californien du XXIe siècle et une fillette allemande des années 1940, rien de commun si ce n'est le sang. Pourtant, de l'arrière-grand-mère au petit garçon, chaque génération subit les séismes politiques ou intimes déclenchés par la génération précédente. Monstrueuses ou drôles, attachantes ou désespérées, les voix de Sol, Randall, Sadie et Kristina - des enfants de six ans dont chacun est le parent du précédent - racontent, au cours d'une marche à rebours vertigineuse, la violence du monde qui est le nôtre, de San Francisco à Munich, de Haïfa à Toronto et New York. Quel que soit le dieu vers lequel on se tourne, quelle que soit l'époque où l'on vit, l'homme a toujours le dernier mot, et avec lui la barbarie. C'est contre elle pourtant que s'élève ce roman éblouissant où, avec amour, avec rage, Nancy Huston célèbre la mémoire, la fidélité, la résistance et la musique comme alternatives au mensonge.


Dans les premiers temps, j'ai été un peu déstabilisée. Sol, ce petit garçon de 6 ans qui ouvre le roman, rend très mal à l'aise. Langage trop adulte, attitudes et pensées obscènes, j'ai parcouru les premiers mots avec un très gros doute : est-ce que Nancy Huston va continuer tout le roman sur ce ton là? Heureusement, non. Et même si les premières pages ont un côté malsain, elles ont leur explication. Sol appartient à une société où l'enfant est roi, il n'a plus de limites, il se cherche. Et Nancy Huston condamne cette nouvelle façon d'éduquer qui fait des enfants de véritables petits adultes. Cette étape passée, on ne peut que difficilement posé le roman. Surtout à partir de la seconde partie où l'on suit Randall. En ce qui me concerne, c'est à partir de ce moment que je n'ai plus réussi à lâcher le roman. Ce dernier est composé de quatre parties : une première sur Sol se passant en 2004, la seconde en 1984 racontant l'histoire de Randall, ensuite vient Saddie en 1962 et enfin, Kristina en 1944-45. Chaque personnage est un enfant de 6 ans et est le père ou la mère de l'enfant précédent. Cette construction en forme de chronologie inversée et, pour moi, le point fort de ce roman. Tous les événements actuels sont liés aux événements passés comme si l'espace et le temps ne comptaient plus. Même s'il s'agit de 4 époques différentes, de 4 lieux différents, la roue infernale apporte son lot de malheur, de guerre, de questionnements, ... Sol m'a chamboulée plus que bouleversée. J'ai compris l'horreur silencieuse dans laquelle il était plongé. Même si je n'ai pas eu d'affection pour lui, j'ai compris sa souffrance, sa détresse. L'histoire de Randall m'a beaucoup parlée car elle est proche de nous, proche de ce que je connais. J'ai eu le coeur serré lorsque l'auteur parle du conflit israëlo-palestinien. C'est un petit garçon attachant. On aime également son père, homme merveilleux et sensible. Celle de Sadie touche davantage notre moi profond. Cette petite fille s'interroge sur le sens de la vie, elle cherche un bonheur simple qui semble totalement intouchable. On aimerait la serrer dans nos bras. Quant à Kristina, l'origine de tout, c'est une enfant normale malmenée par la guerre et ses horreurs. Une enfant parmi tant d'autres ...

Dans les toutes premières pages, on croit comprendre l'histoire de l'arrière grand-mère de Sol. ça nous paraît évident. Mais en lisant la seconde partie, des indices semblent nous murmurer que l'on s'est probablement trompé de voie. Tout s'éclaire petit à petit, les pièces s'emboitent et les réponses arrivent. Mais pas toutes les réponses. Certaines restent en suspend et nous confirment que les secrets de famille sont comme un puits sans fond.

J'ai découvert, pour ma part, un aspect de l'horreur nazi que je ne connaissais absolument pas. Nancy Huston a choisi de nous parler de la seconde guerre modiale autrement et de nous rappeler aussi que ces événements ne sont pas rattachés qu'au passé mais qu'ils sont toujours là, en nous, mais aussi dans d'autres pays où les horreurs retentissent encore et encore. Les générations ont beau se succéder, les mentalités semblent inchangées.

Un roman qui pose énormément d'interrogations, qui chamboule, qui bouscule. Un roman vraiment magnifique, un traitement parfait des sentiments humains, bons ou mauvais, l'histoire d'hommes et de femmes qui ne cherchent que le bonheur, cette petite bête étrange qui semble se dérober dès qu'on s'approche.

A lire!

(Citation en titre du billet : Julien Green. proverbes-citations-fr.com)

" Ce printemps j'ai senti pour la première fois la forme d'une année. Quand les feuilles ont commencé à sortir sur les arbres, je me suis rappelé très fort comme elles étaient sorties au printemps dernier et je me suis dit, tout étonné : Alors c'est ça, une année. "

(Lignes de faille, Huston, Babel, 2007, p 133)

(Source image : college-de-vevey.vd.ch)

2 commentaires:

L'or des chambres a dit…

Encore un qui m'attend sur ma PAL... Et pourtant c'est un auteur que j'adore, alors qu'est ce que j'attend ??? En fait tu as mis le doigt sur ce qui me rébute à chaque fois que j'ouvrais ce livre, ce début avec ce gamin tellement antipathique, malsain... Mais maintenant je sais qu'il me faut passer outre le début et que la suite ne me décevra pas...
Merci de me redonner envie de lire ce livre !
A bientôt !

Caro[line] a dit…

Je me souviens avoir adoré ce roman, mais je ne me souviens plus des détails de l'histoire. Je pense qu'il mériterait une relecture ! ;)