vendredi 30 octobre 2009

" On n'aime que ce qu'on ne possède pas tout entier "

A la recherche du temps perdu Tome 5
La prisonnière
Marcel Proust

Livre de poche, 2008.

Albertine a renoncé à faire une croisière et lorsque, à la fin de l'été, elle rentre de Balbec avec le narrateur, elle s'installe chez lui, à Paris : il ne se sent plus amoureux d'elle, elle n'a plus rien à lui apprendre, elle lui semble chaque jour moins jolie, mais la possibilité d'un mariage reste ouverte, et en lui rendant la vie agréable, peut-être songe-t-il à éveiller en elle le désir de l'épouser. Il se préoccupe en tout cas de son emploi du temps, l'interroge sur ses sorties sans pouvoir bien percer si sa réponse est un mensonge, et le désir que visiblement elle suscite chez les autres fait poindre la souffrance en lui.
Paru en 1923, La Prisonnière est le premier des trois volumes publiés après la mort de Proust et, quoique solidaire, bien sûr, de Sodome et Gomorrhe qui le précède comme d'Albertine disparue qui le suit, une certaine unité lui est propre, entre l'enfermement initial du narrateur et le départ final de la jeune fille. Pour l'essentiel, trois journées simplement se déroulent ici - le plus souvent dans l'espace clos de l'appartement -, et ce sont comme les trois actes d'un théâtre où la jalousie occupe toute la place.

Et bien, je dois reconnaître que j'ai eu un peu de mal à finir ce tome. L'écriture est toujours aussi sublime, le ton à la fois ironique, croustillant, beau et bouleversant est encore au rendez-vous, le sujet est comme à chaque fois intéressant, mais à cause d'une période de boulot très prenante et une invasion d'amis à la maison, j'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire ... et j'en suis bien triste!
Pourtant, ce tome est beau. On voit notre narrateur se transformer davantage en écrivain, on est bouleversé par ses questionnements sur l'amour, la jalousie, le mensonge, l'art, ... Ce tome est tellement riche et complexe qu'il faut prendre le temps de se poser pour le déguster. Plus qu'avec les autres tomes, j'ai ressenti l'importance de notre état d'esprit lors de la lecture d'un tome de La recherche du temps perdu. Si notre esprit batifole ailleurs, que l'on pense à la vaisselle à faire, au chien à sortir, aux collègues et j'en passe, on peut être sûr que la magie n'opérera pas. Ce qui est bien triste lorsque l'on voit quel bonheur Proust nous donne quand nos obligations humaines et quotidiennes nous fichent un peu la paix.
Revenons à La prisonnière! L'histoire est simple (en apparence). Notre narrateur installe Albertine chez lui. On voit alors dans toute sa splendeur le machisme personnifié. Albertine n'a pas le droit de sortir, sauf si le narrateur sait exactement ce qu'elle fait, qui elle voit, où elle va. Albertine est "l'oeuvre" du narrateur (ce sont ses mots). Un peu sexiste le petit Marcel! Et pourtant, on ne lui en veut pas. Quand on voit l'exaspérante nana qu'il se tape, on comprend qu'il soit un peu enquiquinant. Albertine est menteuse, un peu bêbête (blonde, pourrait-on dire!), sournoise et franchement, on ne comprend pas ce qu'il lui trouve ... Mais bon!! A cette histoire se mêle celle de monsieur de Charlus (et oui, encore lui!) et ses tirades croustillantes à souhait lors d'une soirée ches les Verdurin (encore en vie ceux là?? Je crois qu'ils doivent avoir au moins 100 ans).
On rigole, on renifle tristement, c'est un superbe roman mais qui m'est passé un peu à côté, je dois l'avouer. Je n'avais pas la tête à réfléchir, à me questionner autant que Proust, j'avais envie de légéreté ... malheureusement!
Mais je ne suis pas du tout refroidi! J'aime toujours Proust et j'entamerai Albertine disparue avec un grand sourire! Pour l'heure, j'ouvre un roman plus léger!

" Quand elle dormait, je n’avais plus à parler, je savais que je n’étais plus regardé par elle, je n’avais plus besoin de vivre à la surface de moi-même. En fermant les yeux, en perdant la conscience, Albertine avait dépouillé, l’un après l’autre, ses différents caractères d’humanité qui m’avaient déçu depuis le jour où j’avais fait sa connaissance. Elle n’était plus animée que de la vie inconsciente des végétaux, des arbres, vie plus différente de la mienne, plus étrange, et qui cependant m’appartenait davantage. Son moi ne s’échappait pas à tous moments, comme quand nous causions, par les issues de la pensée inavouée et du regard. Elle avait rappelé à soi tout ce qui d’elle était au dehors ; elle s’était réfugiée, enclose, résumée, dans son corps. En le tenant sous mon regard, dans mes mains, j’avais cette impression de la posséder tout entière que je n’avais pas quand elle était réveillée. Sa vie m’était soumise, exhalait vers moi son léger souffle. "
(La prisonnière, livre de poche, 2008, p121)



(Source image : Lady Agnew of Lochnaw by John Singer sur answers.com)

2 commentaires:

keisha a dit…

Oui, c'est beau, mais tu lis Proust sans prendre un peu de repos, on dirait... Tu vs réussir à tout lire en un an, chapeau.
Perso, j'en suis à ce livre là, mais pas commencé, alors que cette (re)lecture du tout dure depuis 2003...

Romanza a dit…

Keisha : Je prends beaucoup de plaisir ... Il est là mon secret!