dimanche 8 novembre 2020

Tu engendreras dans la souffrance.

 Le Chœur des femmes 

Martin Winckler

Folio, 2017.

Je m'appelle Jean Atwood. Je suis interne des hôpitaux et major de ma promo. Je me destine à la chirurgie gynécologique. Je vise un poste de chef de clinique dans le meilleur service de France. Mais on m'oblige, au préalable, à passer six mois dans une minuscule unité de "Médecine de La Femme", dirigée par un barbu mal dégrossi qui n'est même pas gynécologue, mais généraliste ! S'il s'imagine que je vais passer six mois à son service, il se trompe lourdement. Qu'est-ce qu'il croit ? Qu'il va m'enseigner mon métier ? J'ai reçu une formation hors pair, je sais tout ce que doit savoir un gynécologue chirurgien pour opérer, réparer et reconstruire le corps féminin. Alors, je ne peux pas - et je ne veux pas - perdre mon temps à écouter des bonnes femmes épancher leur coeur et raconter leur vie. Je ne vois vraiment pas ce qu'elles pourraient m'apprendre.

Je remercie UnlivreUnthé pour m'avoir fait découvrir ce roman. Je ne l'aurai sûrement pas lu sans elle. Cela aurait été bien dommage. 

Je dois reconnaître que l'intérêt du Choeur des femmes n'est pas littéraire. Beaucoup de lieux communs, de longueurs, de lourdeurs même. L'ambiance n'est également pas ce qui m'a séduite. Pourtant, j'ai apprécié ce livre ... et je le recommanderai autour de moi ... surtout à des femmes. C'est un texte qui bouscule

Comme je le disais certains points m'ont rendue perplexe. La narration en elle-même, l'histoire aussi, ne sont pas les choses que j'ai préférées. J'ai apprécié Le Choeur des femmes car je l'ai lu comme un témoignage, une enquête ... et non comme un roman. 

Ce livre de Martin Winckler est un livre qui fait ouvrir les yeux. Je me suis rendue compte à quel point tout ce qui paraissait normal aux femmes ne l'était pas. J'ai été marquée, durant ma lecture, par l'idée que nous sommes conditionnées pour penser que les examens gynécologiques sont forcément désagréables et humiliants. On y va la boule au ventre, on sait d'avance que l'on va avoir mal, qu'on aura le droit (quoi qu'il arrive) à un examen physique ... même si ce n'était pas nécessaire. Tout ça est dans les normes. On le transmet même de mère en fille. On subit ... c'est ainsi. Nous n'avons pas d'autres modèles. Martin Winckler met le doigt sur ce problème (sans vilains jeux de mots). Oui, un examen gynécologique peut se passer de toucher vaginal. Non, la position sur le dos et les pieds sur les étriers n'est pas la seule qui existe. Oui, tout est fait pour le confort du médecin et non pour celui de la patiente. A la lecture, plusieurs souvenirs me sont revenus ... Des souvenirs désagréables auxquels je pense toujours avec honte, mais qui me paraissaient "normaux". Ma première visite gynécologique à 14 ans et cette médecin qui m'a faite souffrir jusqu'aux larmes ... Elle ne m'a pas dit un mot, n'a rien expliqué, n'a pris aucuns gants. Cette même femme quelques années plus tard qui me regarde avec dédain, un sourire aux lèvres, car je reviens d'un voyage humanitaire au Sénégal et que j'ai des petits soucis gynécologiques. Elle sous-entend ouvertement que je me suis envoyée tous les sénégalais du pays. J'ai regardé mes pieds, j'ai baissé les yeux. C'était faux. Et même si cela avait été vrai, quel était son rôle? Celui de me juger? Je ne crois pas. Et bien sûr, il y en d'autres. Ces médecins qui te demandent de te mettre entièrement nue. Sans même un drap sur toi. Tu trembles sur la table d'auscultation. Mais tu ne dis rien. Car tu penses que c'est normal. Ce gynécologue qui est arrivé dans la salle d'accouchement où je mettais mon premier bébé au monde. Je ne l'avais jamais vu. C'était la sage-femme qui gérait merveilleusement bien depuis le début du travail. Il ne s'est pas présenté. Il a mis sa tête entre mes jambes. Je me souviens de l'affreux bruit de la peau découpée au ciseau, de la douleur ... Puis il a recousu sans anesthésie. Les coups d'aiguilles étaient une torture. J'avais mon tout-petit sur mon ventre, plutôt que de le regarder, je ne faisais que me mordre les lèvres pour ne pas crier. J'ai pu enfin souffler et profiter une fois qu'il était sorti. Sans un mot. Pourtant, je fais partie des femmes qui ont eu un "bel accouchement". Je n'ai pas été "traumatisée". Je n'ai pas eu de complications ... et en garde de "beaux souvenirs". Pourquoi? Parce qu'on est élevées dans l'idée que tout cela est normal.  

Alors oui, le livre de Winckler est long, parfois maladroit, Jean n'est pas un personnage que j'ai apprécié, l'énumération de témoignages finit par être lourd ... mais tout ça ... tant pis. Ce livre est nécessaire car il nous fait prendre conscience de tout ce à quoi on s'est habitué car c'est "normal". La femme doit engendrer dans la souffrance (ou se préparer à engendrer dans la souffrance ... même si elle ne veut pas d'enfants). C'est ainsi. Et bien, non. Nous avons le droit de dire non. Non, je préfère restée habillée. Non, je ne veux pas accoucher dans cette position. Non, je ne vous autorise pas à me toucher sans m'avoir d'abord prévenue. Les mœurs changent doucement. Mais le chemin est encore long. Nous, les mères, les tantes, les amies, ne transmettons pas cette peur ou cette idée que la gynécologie est un passage subi, désagréable, humiliant. Expliquons plutôt aux jeunes générations qu'elles ont le droit de s'opposer, de poser des questions, d'exposer leurs préférences. Qu'elles deviennent maîtresses de leur intimité. 

Un livre qui ne se lit pas comme un roman, qui a beaucoup de défauts ... mais qui se lit comme un témoignage indispensable à toute femme. A lire pour savoir et prendre conscience.

- Chaque fois que vous interrompez une patiente, vous l'empêchez de dire ce qui est essentiel pour elle. Chaque fois que vous remettez en question la véracité de ce qu'elle dit, vous la faites douter.
- Mais si elle dit quelque chose de faux ?
- D'abord, ce n'est pas "faux", c'est ce qu'elle ressent. Son interprétation n'est peut-être pas conforme aux acquis de la science, mais elle lui permet d'appréhender la situation d'une manière intelligible, de ne pas se laisser gagner par la panique. Notre boulot, ça n'est pas de lui dire que ce qu'elle ressent est "vrai", ou "faux", mais de chercher pour son bénéfice, et avec son aide, ce que ça signifie. Si tu veux que les patientes respectent ton avis, il faut d'abord que tu respectes leur perception des choses...
- Même si elle repose sur une vision complètement fantasmatique ?
- Bien sûr. Respecter, ça ne veut pas dire adhérer. Ça veut dire : plutôt que de perdre ton temps dans un bras de fer (j'ai raison, tu as tort), essayons de trouver un terrain commun. Une relation de soin, ce n'est pas un rapport de force.

(Photos : Romanza 2020)

3 commentaires:

Un livre, un thé a dit…

Je suis contente de lire ton avis, effectivement ce livre bouscule, permet de réflechir et c'est ça qui en fait une lecture indispensable à se passer de mère en fille, d'amie en amie

Lilly a dit…

Pour le coup, je ne suis pas complètement de ton avis. J'étais déjà familiarisée avec les idées de Winckler lorsque j'ai lu ce livre, et sensibilisée de façon générale aux questions qu'il soulève dans ce roman. Cela a sans doute fait que je lui trouve moins d'excuses. Ce roman est complètement raté, à force de soulever des milliards de questions il les traite mal voire dessert ce qu'il défend.
Il n'y a aucun manichéisme dans son histoire, son héros est merveilleux et les autres médecins des ordures. Sa façon de faire est la seule respectueuse.
Bref, le succès de ce livre m'échappe complètement et je comprends les médecins de mon entourage qui ont été blessés par certaines accusations (je ne parle pas du tout de choses comme celles que tu rapportes, qui sont inexcusables et qu'il faut à tout prix dénoncer).

Winckler vient de sortir un essai, pour le coup il m'intéresse bien plus et c'est davantage un livre que je pense offrir a priori. Mais le romancier, je ne veux plus le relire.

Romanza a dit…

Je comprends ce que tu écris. Je me suis faite la même réflexion à la lecture. Etant enseignante, je me retrouve souvent dans la situation où les gens nous mettent tous dans le même panier : l'éducation nationale ne respecte pas le rythme et les besoins des enfants. SEULES les éducations parallèles font bien, les autres sont malveillantes.
Du coup, je comprends ton argument comme quoi Winckler range d'un côté les bons, de l'autre les mauvais. Oui il existe de très bons médecins. Je n'ai pas cité ce gynécologue magnifique qui a suivi mes grossesses et qui s'est spécialisé dans la reconstruction mammaire ... pour ne pas être que celui qui diagnostique un cancer du sein, mais qu'il soit aussi celui qui les soigne jusqu'au boout. Et je peux en citer beaucoup d'autres.
Je N'AI JAMAIS été anti médecin. Le livre de Winckler m'a juste rappelée à quel point on était enfermé dans l'idée que certaines choses étaient normales alors qu'elles ne l'étaient pas. Je comprends que ce livre soit insultant pour beaucoup de médecins. Je l'ai ressenti ... même si je n'en ai pas parlé.
L'énumération d'anecdotes est assez "lourde" dans ce texte. Et niveau littéraire, comme je l'ai dit, rien de bien foufou. Mais je reconnais qu'étant ignorante du milieu médical, je suis tombée des nues en lisant certaines choses ... je ne pensais même pas que ça pouvait se passer!
Merci beaucoup pour ton retour important ;) ...