jeudi 25 mai 2017

" Il n'y a pas de bonheur en amour, sauf à la fin d'un roman anglais. "

Le roman du mariage
Jeffrey Eugenides

Points, 2014.

Une fille et deux garçons. Sur le campus de Brown comme ailleurs, il y en a un de trop. Madeleine aime le brillant Leonard et rêve déjà de leur futur radieux d'intellectuels talentueux. Mais Leonard est fragile, imprévisible, Madeleine est constamment sur le qui-vive. Avec Mitchell, le prétendant idéal, la vie serait simple ; pourtant Madeleine est réticente. Faut-il se marier par amour ?

Voilà un roman qui m'a particulièrement happée. Embarquée dès les premières pages, j'ai eu à chaque fois beaucoup de mal à le refermer.
Jeffrey Eugenides s'interroge : Un roman sur le mariage peut-il avoir un intérêt quelconque à notre époque où cette union n'a plus l'importance d'autrefois? En ce qui me concerne la réponse est oui. Le roman du mariage est captivant et addictif. 
Ce qui m'a principalement enthousiasmée à la lecture de ce texte c'est l'atmosphère universitaire et l'ambiance intellectuelle. Les premières pages sont pour moi les meilleures. Suivre les trois protagonistes dans les couloirs de leur fac, les suivre dans leurs cours et les voir réfléchir à leur mémoire de fin d'étude fut une véritable jouissance pour moi. J'ai aimé l'écriture très fine et précise d'Eugenides, son côté intellectuel qui ne laisse rien au hasard, qui précise, fouille, dissèque. 
Madeleine, Mitchell et Leonard ne sont pas sans défaut. Je me suis sentie parfois proche d'eux et à d'autres moments, je ne les comprenais pas. Eugenides rend ses personnages très vivants. Ils possèdent leurs failles, ce sont des personnalités que l'on pourrait rencontrer dans la vraie vie. J'ai adoré les suivre dans leurs luttes intérieures, spirituelles, intellectuelles ou sentimentales. Les pages sur la maladie de Leonard et les aventures de Mitchell en Inde près de Mère Teresa m'ont passionnée. Quant à Madeleine, même si elle m'a parfois énervée, je ne pouvais que m’identifier à cette amoureuse de la littérature :
" Elle avait choisi la voie littéraire pour la plus évidente et la plus bête des raisons : parce qu'elle aimait lire. Le programme des cours de littérature anglo-américaine de l'université équivalait, pour Madeleine, à ce qu'était le catalogue de mode Bergdorf Goodman pour ses colocataires. Un intitulé du genre "Littérature anglaise 274 : Euphues de Lyly" lui faisait autant d'effet qu'une paire de bottes Fiorucci à Abby. Le plaisir coupable avec lequel elle languissait le soir dans son lit à la perspective de "Littérature anglaise 450A : Hawthorne et James" n'était pas très éloigné de ce qu'éprouvait Olivia à l'idée d'aller danser à la Danceteria en jupe de Lycra et veste de cuir. Petite fille, déjà, dans la maison de Prettybrook, Madeleine aimait flâner dans la bibliothèque, avec des rangées de livres montant si haut qu'elle ne pouvait pas toutes les atteindre - acquisitions, récentes, comme Love story ou Myra Breckinridge, qui dégageaient un vague parfum d'interdit, ou vénérables éditions reliées cuir de Fielding, Thackeray et Dickens -, et la présence magistrale de ces mots potentiellement lisibles la figeait sur place. Elle était capable de passait en revue le dos des couvertures pendant une heure. "

J'ai moins aimé, je le reconnais, l'utilisation parfois d'un langage assez cru lorsqu'il s'agit de sexe. Pourtant peu "perturbable" dans la vie, en littérature dès que je tombe sur un passage cru je me demande systématiquement si c'était vraiment nécessaire et si l'auteur n'aurait pas pu écrire autrement. A l'écrit, ça coince. Allez savoir pourquoi!
J'ai vraiment adoré ce moment de lecture extrêmement captivant. Les dernières pages sont sublimes, la scène finale m'a serré le cœur. Une fin parfaite
" Voyons d'abord les livres. Il y avait là ses romans d'Edith Wharton, rangés non pas par ordre alphabétique mais par date de publication ; là, les oeuvres complètes d'Henry James chez Modem Library, un cadeau de son père pour son vingt et unième anniversaire ; là, les poche écornés des oeuvres étudiées en cours, beaucoup de Dickens, un soupçon de Trollope, de copieuses portions d'Austen, de George Eliot et des redoutables soeurs Brontë. Là, les New Directions aux couvertures souples noir et blanc, essentiellement de la poésie, des auteurs comme H. D. ou Denise Levertov. Là, les Colette savourés secrètement. Là, le Couples de sa mère, la première édition, que Madeleine avait parcouru en cachette à l'âge de onze ans et où elle trouvait aujourd'hui de quoi étayer son mémoire sur le roman matrimonial. Bref, une bibliothèque bien fournie quoique encore transportable, qui rassemblait à peu près tout ce que Madeleine avait lu à l'université, un ensemble de textes à première vue choisis au hasard mais dont le fil conducteur se dessinait peu à peu, comme ces tests de personnalité dans les magazines féminins, ceux auxquels, lasse de chercher à deviner le sens caché des questions, on finissait par se résoudre à répondre honnêtement avant d'attendre le résultat. Et alors que, prête à s'accommoder de «Sensible», redoutant «Narcissique» et «Pantouflarde», on espérait se voir qualifiée d'«Artiste» ou de «Passionnée», on écopait de cette étiquette en demi-teinte, différemment connotée suivant le jour, l'heure ou son petit ami du moment : «Incurable romantique».Tels étaient les livres présents dans la chambre où Madeleine était couchée, la tête enfouie sous un oreiller, le matin de la remise des diplômes. Elle avait lu chacun d'entre eux, souvent à plusieurs reprises et en soulignant certains passages, mais, dans l'immédiat, ils ne lui étaient d'aucun secours. Madeleine s'efforçait d'oublier la chambre et son contenu. Elle cherchait à retrouver la sécurité du néant où elle était restée retranchée ces trois dernières heures. Tout autre niveau supérieur de conscience l'obligerait à affronter certaines réalités désagréables, comme la quantité et les formes variées d'alcool qu'elle avait absorbées la veille, ou le fait qu'elle avait dormi avec ses lentilles. De là, elle en viendrait inévitablement à se pencher sur les raisons qui l'avaient poussée à boire autant au départ, et ça, elle n'en avait vraiment pas envie. Aussi, repositionnant son oreiller pour se cacher de la lumière du petit matin, Madeleine tenta-t-elle de se rendormir."
(Le roman du mariage, incipit, Jeffrey Eugenides Points, 2014) 
(Photos : Romanza2017)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Lu il y a quelques mois, je suis contente de lire ton avis !

Ellettres a dit…

Ca me tente, surtout les descriptions de livres et de littérature ! J'avais bien aimé Middlesex, mais ça m'avait un peu lassée sur la fin. Dans un tout autre genre, je viens de lire "Mystère rue des Saints Pères" de Claude Izner, un roman policier qui se passe à Paris pendant l'Expo universelle de 1889, et il y a plein de descriptions de livres et d'auteurs (souvent oubliés) de l'époque, car le héros est libraire. C'est ce que j'ai le plus apprécié du roman je crois !

Aelys a dit…

Je n'ai pas réussi à le finir, pourtant je m'étais réjouie...

Lilly a dit…

J'ai adoré ce livre. Comme toi, j'ai été marquée par cette fin si belle et intelligente.