La colline aux cyprès
Louis Bromfield
Challenge Myself - Automne
Livre de poche, 1966 (édition récente, La table ronde, 2003)
Un parc de fleurs, d'arbres et de statues baignant dans une atmosphère de fumées, de suie, dans le bruit infernal des hauts-fourneaux. Planté au milieu des glycines, des pivoines et de la lavande, le château de Shane, une grande maison carrée, mi-géorgienne, mi-gothique, avec sa façade de pierres blanches et ses pignons. Voilà, quelque part entre Cleveland, Chicago et Detroit, la Colline aux Cyprès, au début du XIXe siècle. Il n'y a pas de cyprès, seulement des cèdres. Mais John Shane les avait appelés cyprès et il en fut ainsi car John Shane était le chef de famille. Il était mort vers 1890 ; il resta alors sa femme Julia, ses filles Irène et Lily, leur tante Hattie Tolliver, une famille disséminée entre Paris, Londres et l'Amérique. L'histoire de la Colline aux Cyprès, celle du château de Shane, se confond avec les secrets, les rêves, les drames de Lily et d'Irène ...
Il y a quelques temps, j'avais été transportée par le sublime Précoce automne de Louis Bromfield. Un roman qui m'avait envoûté par sa justesse et sa sensibilité. La colline aux cyprès marque ma seconde rencontre avec cet auteur américain un peu oublié. Je dois reconnaître, malgré moi, que je n'ai pas eu le coup de cœur de Précoce automne. La colline aux cyprès se veut plus ambitieux et perd cette simplicité et cette vérité qui m'avait tant touchée lors de ma première rencontre avec l'auteur. Pourtant, bien que je reconnaisse des faiblesses et une certaine irrégularité à La colline aux cyprès, j'ai aimé ma lecture. J'ai passé de doux moments plongée dans son univers.
La colline aux cyprès, c'est d'abord une ambiance. Celle d'un vieux château dominant une ville. Cette dernière bâtie par les premiers côlons est devenue une ville industrielle, sale et bruyante. Seule preuve du passé, le château des Shane. Je n'ai pu m'empêcher de penser aux descriptions d'Elizabeth Gaskell dans Nord et Sud. L’aciérie est vue par les Shane comme Margaret Hale voit la fabrique de coton de Milton. Mais là où l'opinion de Margaret change et évolue, celle des Shane reste noire et pessimiste.
Même la Vénus de Cnide et l'Apollon du Belvédère, fendus et souillés dans les niches de la haie morte, étaient complétement enfouis sous les munitions. Parce que quelque part dans le monde des hommes étaient tués, les aciéries faisaient d'énormes affaires. La Villese développa comme jamais. Les prix étaient exorbitants. Tout endroit empestait la prospérité et le progrès. (p475)
J'ai été emportée par cet univers mêlant modernisme et tradition. Louis Bromfield décrit à merveille les lieux, les parcs, les paysages, les salons. J'ai très bien vu chaque espace comme si j'y étais.
C'est vrai que les personnages ne sont pas attachants. Lily m'est devenue sympathique qu'à la fin du livre lorsqu'elle commence à moins se regarder le nombril. J'ai été touchée par Irène, l'incomprise. Elle m'a émue car ses choix de vie ne sont pas respectés. Mais on ne peut pas dire qu'elle soit sympathique. Mrs Shane, quant à elle, est sévère et froide. Autour d'eux, beaucoup de personnages gravitent. Nous les rencontrons, ils disparaissent, puis on les recroise pour les voir s'enfuir à nouveau. Durant toute la lecture, on ne sait pas où nous mène Louis Bromfield. Il faut accepter de se laisser aller. Non pas que la lecture soit difficile ou complexe. Le style est fluide, l'histoire dans sa forme est simple et classique. Je dirai que c'est dans le fond que Bromfield nous perd. La colline aux cyprès est un lieu plein de secret, l'homme qui l'a bâti aussi, on s'attend à des secrets de famille, des révélations, ... Finalement, il n'y a rien de cela. Louis Bromfield ne dévoile rien. Attendez-vous à être frustré en fermant ce roman. Nous n'avons aucune réponse. Ni sur ce qui s'est passé, ni sur l'attitude des personnages, leurs décisions, leurs sentiments, leurs secrets. La colline aux cyprès est le roman des non-dits. Les personnages ne sont pas attachants parce que l'auteur ne les excuse pas, il ne nous explique pas leurs réactions ou leurs émotions. Il écrit ce qui se passe et se dit. Voilà tout. Il se passe mille choses, on passe de Paris aux Etats-Unis en quelques chapitres, on parle d'amour, de guerre, de socialisme, de religion ... Pourtant, Louis Bromfield ne dit rien, il sous-entend.
" - Je croyais, dit-elle, que j'avais fini de pleurer. je devais avoir beaucoup de larmes."
Lily qui ne pleurait jamais. (p430)
Et puis, l'écriture de Louis Bromfield est belle. Il y a ces petites phrases si justes, si sensibles qui arrivent droit au cœur.
Au final, La colline aux cyprès est une lecture assez étrange, mais que j'ai beaucoup aimé. J'ai apprécié ses faiblesses et ses étrangetés. C'est un roman prenant et envoûtant, facile à lire mais en réalité très complexe. C'est un texte assez particulier.
J'ai hésité souvent durant ma lecture. Je n'arrivais pas à savoir si j'aimais ou non. Mais plusieurs signes sont venus m'aider. J'ouvrais La colline aux cyprès toujours avec plaisir et intérêt et depuis que je l'ai fini, j'y pense beaucoup et mon attachement pour ce texte devient plus fort de jour en jour.
Louis Bromfield a écrit un roman, Emprise, où l'on retrouve un des personnages secondaires de La colline aux cyprès, Ellen. J'ai été très tentée d'enchaîner et d'attaquer immédiatement Emprise. Mais encore perturbée par ma lecture de La colline aux cyprès, j'ai préféré laisser un peu de temps.
" Chacun de nous est différent des autres. Il n'est pas deux êtres qui se ressemblent. Et personne ne connaît vraiment personne d'autre. Un domaine reste toujours caché et secret, au plus profond de notre âme. Aucun mari ne connaît sa femme, Hattie, et aucune femme ne connaît vraiment son mari. Quelque chose reste toujours à l'écart, intact et mystérieux, impossible à découvrir, car nous-mêmes ne savons pas exactement ce que c'est. Parfois c'est scandaleux. Parfois c'est trop beau, trop précieux pour être jamais révélé. Cela dépassé la révélation, même si nous décidons de révéler ... "(La colline aux cyprès, Louis Bromfield, Livre de poche, 1966, p211)
La femme en blanc, Alfred Roll. |
2 commentaires:
Je te conseille sans hésiter Mrs Parkington, de Louis Bromfield, c'est excellent ! Je note ce titre car j'ai bien envie de relire d'autres choses de cet auteur, même si c'est vrai, son réalisme est parfois cynique.
Eliza : Je l'ai noté depuis un moment ;) ... De ton côté, n'hésite pas à découvrir Précoce automne ou La colline aux cyprès.
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