dimanche 28 avril 2013

Anguille sous roche ...

L'armoire des robes oubliées
Riikka Pulkkinen

 Albin Michel, 2012.

Révélation finlandaise, Riikka Pulkkinen a tout juste trente ans et le visage d’un ange, mais ne vous y trompez pas : c’est une très vieille âme qui sait décrire avec la même puissance d’émotion une grand-mère en train de mourir, un homme qui se retourne sur son passé ou une jeune fille qui, trouvant une robe oubliée, part à la découverte des secrets de famille….


L'armoire des robes oubliées n'est pas un roman transcendent et extraordinaire mais j'ai apprécié ma lecture. Etant dans une période de travail assez lourde, j'ai aimé chaque soir retrouver la touchante histoire d'Anna, Eeva, Elsa et Eleonoora, me réfugier dans leur passé et leur présent
J'ai aimé que l'auteur ne tombe pas dans un simple roman à suspense, à révélations. L'histoire de L'armoire des robes oubliées est simple et c'est en cela qu'elle m'a touchée. Les chagrins sont humains, les peines, les doutes sont universels. Il n'y a pas de réels drames, seulement des êtres qui s'aiment et se déchirent. On attend la chute finale en imaginant un mélodrame larmoyant, mais Riika Pulkkinen reste pudique, sobre, délicate. Et c'est tant mieux!
Je me suis attachée aux personnages de ce roman. Elsa, surtout, est bien dessinée, vivante, presque une amie. Ce ne sont pas des personnages inoubliables que nous découvrons, mais des "personnes" que l'on croise le temps de 400 pages, qui nous murmurent leur histoire, qui se confient, des gens que l'on apprend à connaître. 
Une jolie lecture "couette", "cocon" qui n'a pas bouleversé ma vision de la vie, ni élargi ma conception de la littérature, mais que j'ai pris plaisir à lire, à grignoter, à découvrir. Un roman touchant. 

" J'avais déjà oublié que les enfants ont en partage parce qu'ils ne connaissent rien d'autre : la foi, reçue en naissant que tout ira bien. A une période de sa vie, on la perd un instant, inévitablement. Si on a de la chance, elle revient. Viennent des gens pour vous prendre dans leurs bras sous la couverture, dans des chambres à coucher, pour vous tendre la main par-dessus des tables, et avec eux vous réapprenez ce qu'il vous avait fallu perdre en même temps que l'enfance. "
(L'armoire des robes oubliées, R. Pulkkinen, Albin Michel, 2012, p.103)


(Source image : forumfr.com)

samedi 20 avril 2013

De l'importance d'un rayon de soleil

Le vent dans les saules
Kenneth Grahame


Phébus, Libretto, 2011.

Ils sont quatre : quatre aventuriers plus ou moins pantouflards et ordinaires du monde animal à vivre l'aventure quotidienne de la vie. Il y a les deux amis, Rat et Taupe, le sage et bourru Blaireau et l'entêté, vaniteux et totalement irresponsable Crapaud par qui tout ou presque arrive. Ces quatre-là s'émerveillent, suivent les saisons, le cours de l'eau et racontent en un livre magique tout ce qui fait le prix de l'existence : peur, amitié, désir d'ailleurs, perte, abandon, espoir...

" J'envie le lecteur qui s'apprête à ouvrir ces pages pour la première fois ; il va pénétrer dans un pays accueillant où l'attendent des compagnons qui, de toute sa vie, ne le quitteront plus. " C'est après ces mots d'Alberto Manguel en préface que j'ai commencé les aventures de Mr Taupe, Mr Rat, Mr Crapaud et Mr Blaireau. Le vent dans les saules est un concentré de douceur, de tendresse, d'amitié et d'humour. Avec une écriture d'une grande simplicité, Kenneth Grahame nous parle de l'humanité toute entière, de ses émotions les plus pures. Les péripéties des quatre amis sont palpitantes, drôles et émouvantes. J'ai beaucoup ri des aventures de Mr Crapaud, cet animal orgueilleux mais attachant. L'amitié liant Mr Taupe et Mr Rat est touchante et j'ai été intimidée par le sage Mr Blaireau. Mais la force de ce roman est qu'au-delà de simples aventures d'animaux, Kenneth Grahame nous plonge dans un véritable hymne à la vie. C'est ce point précis qui a fait que Le vent dans les saules est un total coup de cœur. L'amour des petits riens de l'existence est ici à son apogée. Le plaisir d'un feu de cheminée, d'un pique-nique près d'une rivière, du bruit de l'eau, du chant des oiseaux, d'un lit douillet, d'une conversation entre amis. Un roman qui donne envie de vivre et de déguster ces petits riens de l'existence. Kenneth Grahame fait autant l'éloge de la vie en plein air, balade, pique-nique, découverte, curiosité, que de la joie que l'on peut ressentir dans son chez-soi, l'importance de créer un nid confortable, la sécurité, le réconfort. Sa conception de la vie, le bonheur de flâner au bord de l'eau tout comme la joie de rentrer chez soi, est tout ce en quoi je crois
Lorsque j'étais enfant, j'écoutais en boucle une cassette audio durant la période de Noël. Il s'agissait d'un rat et d'une taupe qui, ravis de rentrer chez eux un soir d'hiver, profitaient paisiblement de la chaleur du foyer et d'un bon repas. Je me souviens du bruit du feu de cheminée, des paroles réconfortantes du rat et de la chanson des petits mulots. Quelle joie, quelle émotion j'ai ressentie lorsqu'en lisant le chapitre 5, j'ai retrouvé cette belle histoire qui m'avait si souvent bercée enfant. 
Le vent dans les saules a le pouvoir de rendre les moments tendres de la vie magiques, inoubliables, indispensables. J'y ai retrouvé mes principes, ma conception de la vie, ce que je veux transmettre à mon fils. Le chaleur du foyer, la découverte, la curiosité, l'amour des petits riens ... 
Il est assez difficile de parler d'un roman aussi simple parlant de crapauds et de loutres, mais tellement indispensable, remuant notre coeur, nous plongeant dans une sorte d'extase béate ... 
... Un bijou!

" Un spectacle ravissant et tout à fait de saison s'offrit à leurs yeux quand ils ouvrirent toute grande la porte. Dans l'avant-cour, éclairés par les faibles rayons d'une lanterne, une dizaine de jeunes mulots, rangés en demi-cercle, tapaient des pieds pour se réchauffer. Un cache-nez d'épaisse laine rouge autour du cou et les pattes de devant enfoncées dans leurs poches, il se regardaient timidement, de leurs yeux brillants comme des billes, ricanaient un peu, reniflaient et ne cessaient de s'essuyer de la manche de leur manteau. Au moment où la porte s'ouvrit, l'un des plus âgés, qui portait la lanterne, disait à ses camarades : "Attention, un, deux, trois!". Aussitôt ils entonnèrent, de leurs petites voix aiguës  un de ces chants que leurs ancêtres avaient composés par un de ces hivers où les champs étaient en friche et à moitié gelés et que la neige les retenait près du feu de cheminée. "
(Le vent dans les saules, K. Grahame, Libretto, 2012, p92)



(Sources images : fantasybookreview et happymousemansion.wordpress.com)

dimanche 14 avril 2013

J'ai ouvert Le vent dans les saules ...



 " Là, tout n'était que tremblements et frissonnements, lueurs et étincelles, bruissements et remous, chuchotements et bouillonnements. Mr Taupe en resta ensorcelé, transporté, fasciné. Il se mit à trotter le long de la rivière comme un petit enfant trottine au côté d'un adulte qui l'envoûte par des histoires passionnantes ; et quand, enfin, las, il s'assit sur la berge, la rivière continua à lui susurrer les plus belles histoires du monde, venues des entrailles mêmes de la terre et qu'elle irait ensuite répéter à la mer insatiable. "

(Le vent dans les saules, Kenneth Grahame, Phébus, Libretto, 2012, p 21)

samedi 13 avril 2013

" L'homme ne sait pas vivre dans le présent "

Le poids du papillon
Erri de Luca

 Folio, 2012.

Quelque part dans les Alpes italiennes, un chamois domine sa harde depuis des années. D’une taille et d’une puissance exceptionnelles, l’animal pressent pourtant que sa dernière saison en tant que roi est arrivée, sa suprématie est désormais menacée par les plus jeunes. En face de lui, un braconnier revenu vivre en haute montagne, ses espoirs en la Révolution déçus, sait lui aussi que le temps joue contre lui. À soixante ans passés, sa dernière ambition de chasseur sera d’abattre le seul animal qui lui ait toujours échappé malgré son extrême agilité d’alpiniste, ce chamois à l’allure majestueuse. Et puis, face à ces deux forces, il y a la délicatesse tragique d’une paire d’ailes, cette «plume ajoutée au poids des ans». Le poids du papillon, récit insolite d’un duel entre l’homme et l’animal, nous offre une épure poétique d’une très grande beauté. Erri De Luca condense ici sa vision de l’homme et de la nature, nous parle de la montagne, de la solitude et du désir pour affirmer plus que jamais son talent de conteur, hors du temps et indifférent à toutes les modes littéraires.

Un ami m'a offert ce roman d'Erri de Luca, auteur italien que je ne connaissais pas, en me présentant sa plume comme très poétique et symbolique. Après lecture, je ne peux que confirmer, Erri de Luca est un auteur d'une grande finesse. Il s'agit vraiment ici de poésie en prose. Dans la lignée de Moby Dick ou Le vieil homme et la mer, Le poids du papillon nous conte la quête d'un homme désirant, avant de mourir, tuer le roi des chamois. Quant à ce dernier, sentant sa fin proche, il est prêt à quitter son troupeau. J'ai lu ce petit texte de façon assez détachée. C'est beau, c'est bien écrit, la fin m'a particulièrement séduite, mais je ne peux pas dire pour autant que je garderai un souvenir cuisant de ce texte. C'est une lecture à vivre au présent. Je ne pense pas qu'il me restera grand chose de ce texte dans quelques temps. Même s'il est plein de qualités, qu'il fut agréable à lire et que se perdre de temps en temps dans un roman (conte? nouvelle?) d'Erri de Luca pour sa douceur et sa poésie est tentant. 
Je dois reconnaître tout de même que la fin m'a marquée. J'ai été surprise, je ne m'attendais pas à ça. J'ai trouvé ce final très beau et prenant. Un joli message. 
Je le conseille à ceux qui aiment les textes très poétiques et reposants.

" Pour l'homme aussi, le temps de la chasse devait cesser. Dans la nature, la tristesse n'existe pas, l'homme écartait la sienne en pensant que le roi des chamois était en train de mourir lui aussi quelque part sans un souffle de tristesse, sa fierté intacte. L'homme essayait d'être capable. Un hiver, il mourrait lui aussi de faim et de froid, sans arriver à allumer un feu. C'était une bonne fin pour les solitaires, une fin de bougie. "
(Le poids du papillon, Erri de Luca, Folio, 2012, p 61)

(Source image : arnaud-freminet)

lundi 8 avril 2013

" Ce n'est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu'on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture. "

 Le journal d'une femme de chambre
Octave Mirbeau

Le livre de poche, 1968.

Ce journal d'une femme de chambre est celui de Célestine, au Mesnil-Roy, en Normandie. Elle est nouvellement engagée, acceptant la place dans l'espoir de se reposer des turbulences parisiennes. Les événements ne manqueront pas pour colorier son quotidien. Un quotidien qu'elle consigne avec "toute la franchise qui est en elle et quand il le faut toute la brutalité qui est dans la vie". C'est donc là un journal de femme en province, au bas de l'échelle sociale, et le prétexte pour Mirbeau de brosser au scalpel une étonnante galerie de portraits, dans une violente satire des moeurs provinciales et parisiennes de la Belle Époque. Autopsie de la bonne bourgeoisie, ce Journal dresse en petites touches, parfois en larges aplats, les travers d'une humanité mesquine, hypocrite, et condamne tous les débordements nationalistes et antisémites. Le roman connut un vif succès à sa parution, il est aussi le plus célèbre de Mirbeau.

Longtemps j'ai croisé ce roman classique français sans pour autant l'ouvrir et me lancer dans sa lecture. Je me suis enfin décidée il y a quelques jours et j'en suis bien heureuse
Le journal d'une femme de chambre a un grand pouvoir addictif. Il est très difficile de reposer le roman une fois ouvert et si j'avais eu plus de temps, je l'aurai dévoré en 2 jours. Les anecdotes de Célestine sont captivantes. Je dois reconnaître qu'un certain mal être m'a poursuivie durant toute ma lecture. Le côté intimiste (voyeuriste?) de l'oeuvre nous place dans une situation parfois inconfortable ... Pourtant, on aime ça et on en redemande. Ce sentiment assez contradictoire est très bien mené par Mirbeau qui joue complètement avec son lecteur.  Je crois que je n'ai jamais lu un roman comme celui-là. Déjà le fait que l'héroïne soit une femme de chambre, une domestique, est assez nouveau dans ma vie de lectrice surtout venant d'un classique français. J'ai lu ce roman en imaginant Célestine servir certains des héros riches que j'ai pu rencontrer chez Balzac, Zola ou Maupassant. Mais ce roman m'a également étonnée par sa très grande modernité. Ecrit en 1900, Le journal d'une femme de chambre est un roman brutal, cru, sensuel, puant le vice et la débauche. Il n'y a pas grand chose de beau et de noble dans ce texte, disons-le! Tout est sale, tout empeste, tout est faux. Beaucoup de haine et de violence. Mirbeau dénonce cette société faite d'apparences et d'illusions, ce monde de soie et de dentelle qui ne renferme que de la crasse et de la puanteur.   
Les personnages, eux-même, déstabilisent. Célestine est touchante et j'ai aimé cette femme assumant ses défauts et ses faiblesses, pourtant, j'ai souvent condamné ses choix (notamment celui concernant Joseph), certaines de ses idées et sa sensualité assez dégradante. Il n'y a pas de personnages vraiment attachants ou complètement noirs. Tous les personnages mettent mal à l'aise, nous interrogent, nous chamboulent.
Les anecdotes choquantes, tristes, terrifiantes se succèdent et on lit avidement, les yeux rivés sur les mots vifs, tranchants, puissants de Mirbeau. J'ai aimé que l'on joue avec mes émotions, que l'on cherche à me déstabiliser, que l'on ne me mette pas dans une situation simple et évidente. 
Un roman passionnant que j'ai dévoré, un texte extrêmement marquant. J'aurai bien lu encore plusieurs pages de la vie de Célestine. Un roman qui peut déstabiliser par sa noirceur, mais que j'ai, moi, vraiment aimé et trouvé intelligent, engagé, fort et même tendre par moment. 
Je ne vous conseillerai jamais assez de le lire. 

Aujourd’hui, 14 septembre, à trois heures de l’après-midi, par un temps doux, gris et pluvieux, je suis entrée dans ma nouvelle place. C’est la douzième en deux ans. Bien entendu, je ne parle pas des places que j’ai faites durant les années précédentes. Il me serait impossible de les compter. Ah ! je puis me vanter que j’en ai vu des intérieurs et des visages, et de sales âmes… Et ça n’est pas fini… À la façon, vraiment extraordinaire, vertigineuse, dont j’ai roulé, ici et là, successivement, de maisons en bureaux et de bureaux en maisons, du Bois de Boulogne à la Bastille, de l’Observatoire à Montmartre, des Ternes aux Gobelins, partout, sans pouvoir jamais me fixer nulle part, faut-il que les maîtres soient difficiles à servir maintenant !… C’est à ne pas croire. "
(Le journal d'une femme de chambre, Mirbeau, Livre de poche, 1968, p 9)

(Source image : Joseph Caraud,The Chamber maid sur enigm-art.blogspot.com)