lundi 8 avril 2013

" Ce n'est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu'on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture. "

 Le journal d'une femme de chambre
Octave Mirbeau

Le livre de poche, 1968.

Ce journal d'une femme de chambre est celui de Célestine, au Mesnil-Roy, en Normandie. Elle est nouvellement engagée, acceptant la place dans l'espoir de se reposer des turbulences parisiennes. Les événements ne manqueront pas pour colorier son quotidien. Un quotidien qu'elle consigne avec "toute la franchise qui est en elle et quand il le faut toute la brutalité qui est dans la vie". C'est donc là un journal de femme en province, au bas de l'échelle sociale, et le prétexte pour Mirbeau de brosser au scalpel une étonnante galerie de portraits, dans une violente satire des moeurs provinciales et parisiennes de la Belle Époque. Autopsie de la bonne bourgeoisie, ce Journal dresse en petites touches, parfois en larges aplats, les travers d'une humanité mesquine, hypocrite, et condamne tous les débordements nationalistes et antisémites. Le roman connut un vif succès à sa parution, il est aussi le plus célèbre de Mirbeau.

Longtemps j'ai croisé ce roman classique français sans pour autant l'ouvrir et me lancer dans sa lecture. Je me suis enfin décidée il y a quelques jours et j'en suis bien heureuse
Le journal d'une femme de chambre a un grand pouvoir addictif. Il est très difficile de reposer le roman une fois ouvert et si j'avais eu plus de temps, je l'aurai dévoré en 2 jours. Les anecdotes de Célestine sont captivantes. Je dois reconnaître qu'un certain mal être m'a poursuivie durant toute ma lecture. Le côté intimiste (voyeuriste?) de l'oeuvre nous place dans une situation parfois inconfortable ... Pourtant, on aime ça et on en redemande. Ce sentiment assez contradictoire est très bien mené par Mirbeau qui joue complètement avec son lecteur.  Je crois que je n'ai jamais lu un roman comme celui-là. Déjà le fait que l'héroïne soit une femme de chambre, une domestique, est assez nouveau dans ma vie de lectrice surtout venant d'un classique français. J'ai lu ce roman en imaginant Célestine servir certains des héros riches que j'ai pu rencontrer chez Balzac, Zola ou Maupassant. Mais ce roman m'a également étonnée par sa très grande modernité. Ecrit en 1900, Le journal d'une femme de chambre est un roman brutal, cru, sensuel, puant le vice et la débauche. Il n'y a pas grand chose de beau et de noble dans ce texte, disons-le! Tout est sale, tout empeste, tout est faux. Beaucoup de haine et de violence. Mirbeau dénonce cette société faite d'apparences et d'illusions, ce monde de soie et de dentelle qui ne renferme que de la crasse et de la puanteur.   
Les personnages, eux-même, déstabilisent. Célestine est touchante et j'ai aimé cette femme assumant ses défauts et ses faiblesses, pourtant, j'ai souvent condamné ses choix (notamment celui concernant Joseph), certaines de ses idées et sa sensualité assez dégradante. Il n'y a pas de personnages vraiment attachants ou complètement noirs. Tous les personnages mettent mal à l'aise, nous interrogent, nous chamboulent.
Les anecdotes choquantes, tristes, terrifiantes se succèdent et on lit avidement, les yeux rivés sur les mots vifs, tranchants, puissants de Mirbeau. J'ai aimé que l'on joue avec mes émotions, que l'on cherche à me déstabiliser, que l'on ne me mette pas dans une situation simple et évidente. 
Un roman passionnant que j'ai dévoré, un texte extrêmement marquant. J'aurai bien lu encore plusieurs pages de la vie de Célestine. Un roman qui peut déstabiliser par sa noirceur, mais que j'ai, moi, vraiment aimé et trouvé intelligent, engagé, fort et même tendre par moment. 
Je ne vous conseillerai jamais assez de le lire. 

Aujourd’hui, 14 septembre, à trois heures de l’après-midi, par un temps doux, gris et pluvieux, je suis entrée dans ma nouvelle place. C’est la douzième en deux ans. Bien entendu, je ne parle pas des places que j’ai faites durant les années précédentes. Il me serait impossible de les compter. Ah ! je puis me vanter que j’en ai vu des intérieurs et des visages, et de sales âmes… Et ça n’est pas fini… À la façon, vraiment extraordinaire, vertigineuse, dont j’ai roulé, ici et là, successivement, de maisons en bureaux et de bureaux en maisons, du Bois de Boulogne à la Bastille, de l’Observatoire à Montmartre, des Ternes aux Gobelins, partout, sans pouvoir jamais me fixer nulle part, faut-il que les maîtres soient difficiles à servir maintenant !… C’est à ne pas croire. "
(Le journal d'une femme de chambre, Mirbeau, Livre de poche, 1968, p 9)

(Source image : Joseph Caraud,The Chamber maid sur enigm-art.blogspot.com)

3 commentaires:

bizak a dit…

Je n'ai rien lu de Mirbeau, mais je suis vraiment tenté de lire ce roman, tellement tu fais, Romanza, une description "alléchante" de noirceur de la société de l'époque! Mais il faut comme on dit, savoir, regarder de face, la société et ses sordides réalités,pour en tirer une peinture de ces temps qui ne sont pas aussi jolis q'on voudrait parfois nous les faire croire...par nostalgie !
J'aime ton goût et tes choix de lecture!
Bonne journée Romanza!

Lilly a dit…

Grâce à ma liseuse, j'ai enfin ajouté ce livre à ma bibliothèque. Si j'arrive à me faire une session classiques français dans les semaines à venir, je vais essayer de le lire.

Steph. a dit…

Un roman que j'ai lu à l'adolescence et qui m'avait énormément marquée par sa sensualité.