jeudi 2 décembre 2021

Nostalgie universitaire

La vie de Marianne
Marivaux

Classique Pocket, 2020.
 

" C'est une femme qui raconte sa vie... "
Comment Marianne, jeune orpheline rescapée d'une attaque de bandits, est devenue la comtesse de ***, nous ne l'apprendrons jamais. Marianne, cependant, était déjà Marianne. Jolie et pleine d'esprit, raisonnable et lucide, la " belle enfant " voit tout, sait tout, déjà, de l'ambivalence des bienfaits et des inconstances de l'amour – assez pour dépasser sa condition et proposer, sous la plume du divin Marivaux, le plus badin, pénétrant, spontané des romans de son siècle.

J'avais ressenti, à l'époque où j'avais acheté ce roman, une envie folle de me replonger dans des œuvres du 16 et 17ème siècles. J'ai senti, lors de cette escapade dans la librairie Mollat à Bordeaux, une sorte de bouffée de nostalgie. Je me suis revue à l'époque, étudiante en Lettres, lorsque je passais des heures dans la grande librairie près de la fac', à attendre l'arrivée de mes trains pour rentrer dans ma campagne. J'ai tout revu : cette ambiance feutrée, la nuit presque complète dehors, l'éclairage de la librairie, l'odeur des livres et mon insatiable besoin de lire. Mes années fac' ont été si riches que j'y pense souvent avec plaisir et émotion. Dans cette librairie, j'ai acheté mes romans pour la fac bien sûr mais aussi mes romans "plaisir". A l'université, nous avions une prof de littérature du 16ème (et aussi de rhétorique, grammaire et stylistique) qui était particulièrement fabuleuse, Mme Balique. Magnifique femme, indépendante et dynamique qui nous donnait envie de se précipiter à la librairie à la fin de chacun de ses cours. J'ai appris, avec elle, à aimer cette période littéraire que j'avais tendance à délaisser. Nous avons découvert la verve de cette époque, lu La Fontaine avec passion, pleuré en lisant La princesse de Clèves, ri en parcourant La Bruyère ou Jacques le fataliste de Diderot (lu 3 fois et que j'aime d'amour), tremblé en parcourant Choderlos de Laclos. C'est dans cette bourrasque nostalgique que je me suis précipitée un soir d'automne sur La vie de Marianne de Marivaux. Je ne vous cache pas que ce qui est passionnant dans cette époque, c'est l'étude des textes, l'analyse des discours. J'aurais sûrement davantage apprécié La vie de Marianne si j'avais pu l'étudier en parallèle de ma lecture. Mais n'allez pas croire que je n'ai pas aimé. Loin de là! J'ai passé un bien agréable moment en compagnie de ce gai luron de Marivaux et de cette tendre Marianne. Alors oui, c'est désuet, franchement patriarcal et un brin cul-cul parfois, mais c'est ce qui fait aussi le charme de ces textes. Cette lecture demande de prendre du recul, de la replacer dans son contexte. La langue est belle, fine, pointue. Les beaux passages pleins de sentiments laissent place à l'humour et à la satire des plus réjouissantes. J'aime cette époque, cette liberté dans les mots et les pensées. J'aime la façon dont les auteurs manipulent les mots, disent sans dire vraiment ... mais disent tout de même. J'aime qu'ils fassent confiance à notre intelligence et notre sens de la double lecture. Alors oui, ce n'est pas un roman que l'on attrape aussi facilement qu'un texte plus romanesque ou contemporain. C'est une lecture plus exigeante, plus lente, mais sous ces aspects désuets, on y trouve des vérités encore actuelles sur l'esprit des Hommes et l'âme humaine. 
Je retournerai de temps en temps vers ces textes du 16ème avec bonheur et nostalgie. 
" Si on savait ce qui se passe dans la tête d'une coquette en pareille cas, combien son âme est déliée et pénétrante ; si on voyait la finesse des jugements qu'elle fait sur les goûts qu'elle essaye, et puis qu'elle rebute, et puis qu'elle hésite de choisir, et qu'elle choisit enfin par pure lassitude : car souvent elle n'est pas contente, et son idée va toujours plus loin que son exécution ; si on savait tout ce que je dis là, cela ferait peur, cela humilierait les plus forts esprits, et Aristote ne paraîtrait plus qu'un petit garçon."

(Photo : Romanza2021) 

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