jeudi 16 août 2012

Songe un jour d'été


Eté
Edith Wharton

Culte fictions, La découverte, 2006. 

La jeune Charity, recueillie enfant par un avocat du petit village de North Dormer, en Nouvelle-Angleterre, s'est résignée à une vie étriquée, au pied des montagnes, rythmée par les heures qu'elle passe à dépoussiérer et ordonner la minuscule bibliothèque municipale. Un jour de début d'été, elle voit apparaître dans ce bout du monde un jeune architecte, Lucius Harney, venu dessiner des croquis d'habitats traditionnels de la région. Très vite, elle s'éprend de lui... Admirablement construit, ce court roman des espoirs et des cruautés de l'amour est également une description impitoyable de l'oppression exercée parla "normalité" sociale contre les aspirations de l'individu. Été, quoique fort chaste, traite avec franchise de la sexualité féminine, vue comme force vitale puissante. Un roman très en avance sur son temps qui, lorsqu'il fut publié en 1917, créa un véritable scandale. On alla jusqu'à le comparer à Madame Bovary, qui était précisément le livre préféré d'Edith Wharton.


Voici ma troisième lecture d'un roman d'Edith Wharton qui décidément possède un incroyable talent.
Eté est un petit texte parfait en cette saison lourde où l'on peut flâner, épuisé par la chaleur ... 
Comme toujours l'été, je n'ai que très peu de temps pour moi, mais ce fut un délice de partager ces instants volés avec Miss Wharton. Etrangement, je n'ai pas trouvé l'héroïne particulièrement attachante. Pour moi qui aime m'identifier aux personnages, vivre à travers eux et ressentir leurs émotions, ce ne fut pas le cas ici, mais je n'ai pas trouvé cela gênant. J'ai lu l'histoire de Charity, j'ai écouté ses doutes et ses espoirs de façon détachée, mais enthousiaste et émue. J'ai davantage aimé l'atmosphère lourde de la saison d'été, l'ambiance étriquée du petit village de North Dormer, les angoissants silences de Mr Royal, les paysages, les parfums, les couleurs. J'ai retrouvé le profond pessimiste (disons-le) de Chez les heureux du monde et d'Ethan Frome, bien qu'Eté soit nettement moins déprimant. C'est étrange d'ailleurs d'aimer un auteur qui voit beaucoup de choses en noir, assez fataliste, très dur avec la société et avec ses semblables. Mais c'est qu'Edith Wharton a une écriture magnifique, un regard éclairé, une conscience de la beauté des choses comme de leur noirceur. Edith Wharton ne ment pas. J'aime ces histoires, sa sensibilité et sa passion. Alors oui, Charity, bien que forte et émouvante, n'est pas particulièrement attachante, mais son histoire nous montre l'impasse dans laquelle les femmes pouvaient se trouver à l'époque uniquement parce qu'elles avaient écouté leur coeur, comment la société pouvait les juger et les chasser parce qu'elles n'avaient pas fait ce que l'on attendait d'elles. C'est à dire, être là et attendre. Et c'est ici que se situe le problème, Charity ose sortir des rails et tombe amoureuse. Lors d'une sublime scène un soir de 4 juillet dans la lumière d'un feu d'artifice et dans la foule bruyante, elle se laisse aller à la passion qui jusque là ne faisait que sommeiller. Malheureusement pour elle, le gentil Harney, élu de son coeur, n'a pas sa volonté, sa force, son charisme. Le prince charmant est en réalité un simple laquais. 
La fin d'Eté est à la fois une belle fin pleine d'espoir mais aussi une profonde injustice. Charity n'avait-elle aucune autre solution que celle-là? Doit-on ignorer les élans de son coeur, ses aspirations profondes pour se sauver aux yeux de la société? Certes, Mr Royal n'est pas, au final, un mauvais bougre, mais il y a quelque chose de malsain dans leur situation et l'on ne peut s'empêcher de ressentir un profond malaise en refermant ce roman. Tout comme lorsque l'on referme Chez les heureux du monde et surtout Ethan Frome
Une chose est sûre, je n'en ai décidément pas fini avec cette enchanteresse d'Edith Wharton. Je compte bien dévorer encore plusieurs lignes, plusieurs pages de cette plume magnifique et profondément humaine

« Le soir de sa rencontre avec le cousin de Miss Hatchard, couchée dans son petit lit de fer, les bras croisés sous sa tête, elle continuait à penser à lui. Sans doute avait-il l'intention de séjourner quelque temps à North Dormer, puisqu'il lui avait dit qu'il voulait étudier les vieilles maisons des environs. Elle ne saisissait pas, au juste, ce qu'il voulait dire par là, puisque toutes les maisons du pays étaient vieilles et lui semblaient également laides et tristes ; mais elle comprit qu'il avait besoin de se documenter, et elle prit aussitôt la résolution de rechercher dès le lendemain matin le volume qu'elle n'avait pas pu trouver, ainsi que tous ceux qui lui sembleraient se rapporter au même sujet. Jamais son ignorance de la vie et de la littérature n'avait tant pesé sur elle que maintenant alors qu'elle repassait en esprit leur brève conversation... »
(Eté, Edith Wharton, La découverte, 2006)


(Source image : giverny.org. Le bassin de Miller)

3 commentaires:

maggie a dit…

Quel beau billet ! Comme j'ai aimé Ethan Frome et les autres récits de E. Wharton, je continuerai à lire son oeuvre... J'ai d'ailleurs le temps de l'innocence dans ma PAL. PS : Les boucannières dérogent à la règle, ce n'est pas pessimiste...

Romanza a dit…

Maggie : Je me suis justement offert Le temps de l'innocence ...
Je note pour Les boucannières!
Merci Maggie!

Karine:) a dit…

Bizarrement, je n'ai jamais lu Wharton. Mais j'ai plein de romans d'elle dans ma pile. J'aime les romans d'atmosphère.