samedi 23 juin 2012

Où l'on parle de voleur, de femme adultère, de bouquiniste et de femme peu farouche les soirs de grandes chaleurs

La peur et autres nouvelles
Stefan Zweig


Les cahiers rouges Grasset 2010.

Ce recueil de six nouvelles illustre à la perfection le génie de l'observation de Stefan Zweig, son sens magistral de la psychologie dans l'analyse des comportements humains. Romain Rolland lui attribuait « ce démon de voir et de savoir et de vivre toutes les vies, qui a fait de lui un pèlerin passionné, et toujours en voyage ».

Comme toujours l'écriture de Stefan Zweig m'a totalement enchantée
Il est vrai que je ne conseille pas à un lecteur qui aimerait découvrir Zweig de commencer par ce recueil de nouvelles. Je pense vraiment qu'il faut le connaître avant de s'attaquer à La peur et d'apprécier ces six délicieuses nouvelles. 
Même si j'ai pris davantage de plaisir en lisant les longues nouvelles de Zweig ou encore ses romans et ses biographies, je dois reconnaître que tout le génie de cet incroyable auteur est concentré dans ce recueil. Tout y est. Sa poésie, son humanité, sa psychologie et sa façon si particulière et envoûtante de décrire un moment, un instant précis dans la vie de ses personnages. Chaque nouvelle transforme un évènement en instant magique. La première nouvelle traite d'un sujet très "Zweigien" j'ai envie de dire. L'histoire de cette femme prise dans des tourments intérieurs m'a énormément émue. J'ai retrouvé le Zweig qui sait comme personne décrire le coeur d'une femme. La seconde nouvelle est, quant à elle, assez drôle. Le narrateur observe plusieurs heures un pickpocket qu'il prend en affection. Une nouvelle assez originale, qui m'a faite sourire. J'ai trouvé la troisième, Leporella, splendide. Le personnage de Crescence est incroyable. Un bon exemple des fabuleuses descriptions de Zweig : "Tout comme ses os, ses hanches, ses mains et son crâne, sa voix était dure ; malgré les sons épais et gutturaux, propres à la langue du Tyrol, elle grinçait comme une porte rouillée, ce qui du reste n'avait rien d'étonnant car Crescence n'adressait jamais à personne un mot inutile. Et nul non plus ne l'avait jamais vue rire ; en cela aussi elle avait tout de l'animal, car il est une chose peut-être plus triste que l'absence du langage, c'est celle du rire, de ce jaillissement spontané du sentiment, qui a été refusé aux inconscientes créatures de Dieu." (p116) La quatrième nouvelle est assez mystique. L'ambiance lourde de cette nuit de canicule qui transforme les sens et les corps est particulièrement envoûtante.  Je l'ai trouvé assez "gothique" avec cette héroïne échevelée inconsciente, perdue dans cette nuit magique et étrange. Le bouquiniste Mendel contient de belles pages digne de Zweig. Pleine d'émotions et de réalisme. On retrouve un peu l'auteur du Joueur d'échecs. Un beau portrait d'homme mystérieux enfoui au milieu des livres : "Il ne fumait pas, ne jouait pas. On peut même dire qu'il ne vivait pas. Seuls ses yeux vivaient derrière leurs verres ovales et nourrissaient continuellement de mots, de titres et de noms sa mystérieuse et fertile substance cérébrale. Celle-ci absorbait cette abondante nourriture, comme une prairie aspire des millions de gouttes de pluie." (p188) La dernière nouvelle La collection invisible est très émouvante. 
On retrouve dans ces six nouvelles toute la sensibilité de Stefan Zweig, sa parfaite compréhension de l'esprit humain, son amour des gens.  
Un recueil de nouvelles à lire ... comme tout Zweig! Un auteur de génie. Mais ne commencez pas par ce texte si vous voulez découvrir cet auteur. 

" En revanche, devant un exemplaire unique ou rare, il reculait respectueusement et le posait avec précaution sur une feuille blanche. Il avait visiblement honte de ses doigts sales, tachés d'encre. Puis il feuilletait le précieux volume, page par page, avec une véritable dévotion. Personne n'aurait pu le déranger en cet instant. Cette manière de contempler, de toucher, de sentir et de soupeser l'objet ressemblait en quelque sorte aux rites sacrés d'une cérémonie religieuse. Son dos voûté se dandinait, tandis qu'un grognement sourd se faisait entendre et que ses mains frôlaient ses cheveux touffus."
(La bouquiniste Mendel in La peur, Stefan Zweig, Cahiers rouges, 2010, p189)

(Source image : oldpainting.blogspot.com. J S Sargent. Margaretta Drexel)

3 commentaires:

Miss Léo a dit…

Zweig est un auteur que j'aime beaucoup, dont il me reste encore de nombreux textes à découvrir. Ce recueil de nouvelles semble bien alléchant !

maggie a dit…

J'ai ce recueil mais je ne me rappelle plus de toutes les nouvelles. Je préfère maintenant lire maintenant ses bio et ses essais...

Romanza a dit…

Miss Léo : Fonce!

Maggie : Je n'ai pas encore tenté les essais! Bientôt peut-être!