jeudi 9 août 2018

Pause durassienne estivale

Dix heures et demie du soir en été
Marguerite Duras

Folio, 1990.

L'Espagne. L'été. 
Pierre et Maria, leur petite fille Judith et leur amie Claire sont en vacances, en route vers Madrid. Un violent orage les force à s'arrêter et à trouver un abri dans l'hôtel déjà surpeuplé d'une petite ville où un crime passionnel vient de défrayer la chronique: Rodrigo Paestra vient en effet de tuer sa femme et l'amant de celle-ci, avant de prendre la fuite par les toits. Dans la chaleur étouffante de la nuit, l'amour entre Maria et Pierre s'étiole à mesure que le désir monte entre Claire et Pierre et que Maria s'étourdit à grand renfort de petits verres de manzanilla... Et dans la chaleur étouffante de la nuit où elle ne parvient pas à dormir, Maria aperçoit une silhouette sur le toit d'une maison voisine: Rodrigo Paestra. Rencontre sans parole, improbable et éphémère.

Dix heures et demie du soir en été est mon 5ème Duras après Yann Andréa Steiner, Cahiers de la guerre et autres textes, L'amant de la Chine du Nord et Un barrage contre le Pacifique. Cette lecture ne fut pas ma préférée de Duras. Un barrage contre le Pacifique reste indétrônable. Cependant, je me suis lovée entre les pages de ce court texte avec bonheur.
Je ne saurai expliquer ce qui me touche dans l'écriture de Duras. Je l'ai découverte assez tard. Je ne l'ai jamais lue à l'université de Lettres (au grand malheur d'un de nos professeurs extrêmement strict et érudit, spécialisé dans le XXème et passionné de Duras, Malraux, Michaux, Colette ...), je ne l'ai lue qu'une fois mes études finies. Yann Andréa Steiner m'a laissé peu de souvenirs. J'étais passée à côté. C'est avec les Cahiers de la guerre, puis L'amant de la Chine du Nord que la plume de Duras a touché mon cœur. L'été dernier, il y a eu Un barrage contre le Pacifique qui fut un véritable coup de cœur. J'y repense encore avec émotion. Pourtant, étrangement, je ne prends pas un roman de Duras comme je prendrais un roman de Zola, Balzac, Hardy, Austen, Zweig ou un de mes autres auteurs chouchous. Ma main se tend vers un livre de Duras toujours avec fébrilité. Je ne sais pas pourquoi. Cependant dès les premiers mots, je suis emportée. Certains lui reprochent ses phrases trop concises, son écriture très cinématographique, la violence des sentiments, ses personnages déstabilisants et peu attachants. De mon côté, j'adhère à tout cela. Duras vise juste, va droit au cœur. En peu de mots, elle dit toutDix heures et demie du soir en été en est un bel exemple. Il se passe tant de choses dans ces 150 petites pages. Maria, Pierre et Claire forment un triangle amoureux touchant et juste. J'ai suivi Maria dans ses interrogations avec beaucoup d'émotions. J'ai ressenti toute la tragédie silencieuse qui se jouait devant moi. Cette tragédie si simple et courante qu'est la fin d'une histoire d'amour, la fin d'un couple. J'ai trouvé Pierre touchant. Il est tiraillé. Il ne peut plus lutter malgré son envie. Le respect qui existe entre ces trois personnages est saisissante. En plus de l'histoire, il y a cette écriture, toujours si vraie, précise, tranchante
Je n'aurais jamais pensé que Duras gravirait progressivement les étages de mon panthéon littéraire. J'ai longtemps été persuadée que cette auteure n'était pas pour moi. Pourtant plus les années passent, plus elle grimpe ... doucement mais sûrement. 
" C'est encore une fois les vacances. Encore une fois les routes d'été. Encore une fois des églises à visiter. Encore une fois dix heures et demie du soir en été. Des Goya à voir. Des orages. Des nuits sans sommeil. Et la chaleur.

Un crime a lieu cependant qui aurait pu, peut-être,changer le cours de ces vacances-là .
Mais au fond qu'est-ce qui peut faire changer le cours des vacances ? "
(Dix heures et demie du soir en été, Marguerite Duras)
(Photos : Romanza2018)

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